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L’ONCLE BARBE-BLEUE

battait des ailes, et criait comme la première fois à la vue d’une personne étrangère : « Anda, Anda. »

Mais la chambre n’était plus vide.

Une négresse lippue, coiffée d’un madras écarlate, jouait du banjo au pied de la chaise longue. Ses yeux brillaient sinistrement, pensa la petite fille, reconnaissant en elle le fameux diable qui les avait tant effrayées au grenier, et ses dents blanches éclataient comme pour mordre, dans le noir de sa face.

Valentine faillit reculer d’horreur.

Mais déjà, la négresse s’était levée. Une grimace, qui voulait être un sourire, l’illuminait, et ses gestes étaient si expressifs que la fillette comprit qu’elle était la bienvenue, et qu’elle cessa d’avoir peur. D’ailleurs, cette chaise longue, sur laquelle cet être bizarre semblait veiller, était occupée, et bientôt Valentine ne vit plus qu’un enfant de quatorze ou quinze ans, au teint basané, aux yeux noirs pleins de feu, largement fendus en amande.

C’était bien « le prisonnier » qu’elle avait cru entrevoir la veille, derrière les persiennes entr’ouvertes, avec ses boucles noires et son air maladif. Il portait une sorte de costume oriental qui le rendait plus étrange encore, et, malgré la chaleur, un châle léger couvrait ses jambes étendues.

En apercevant Valentine, le jeune garçon se souleva légèrement sur ses coussins, et, un peu embarrassé, lui tendit la main :

« C’est vous qui m’avez écrit ? lui demanda-t-il avec un accent étranger assez prononcé, c’est vous qui désirez me connaître ?

Trop émue pour parler, elle fit un signe de tête affirmatif.