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UN PIQUE-NIQUE

— Encore des œufs ? lui demanda celui-ci.

— Je pensais faire une omelette, dit-elle d’un ton piteux.

— Bah ! nous serons peut-être de force à en avaler deux, ne te chagrine pas pour si peu, répondit paternellement M. Maranday.

Mais quand Charlotte, brandissant comme une bannière une troisième poêle, vint lui présenter un panier où une troisième douzaine d’œufs s’étalait dans son éclatante blancheur,

— Une omelette encore ? s’exclama-t-il.

Sur un signe de tête affirmatif, mais désespéré, ni lui, ni Mlle Favières ne purent garder plus longtemps leur sérieux, tandis que le pauvre Jean, témoin impassible en apparence, se mordait les lèvres pour ne pas éclater.

L’arrivée d’Élisabeth avec une provision d’œufs toute pareille et une nouvelle poêle mit le comble à la gaîté des grandes personnes. Et lorsque Marie-Antoinette, toujours en retard, survint la dernière portant avec précaution une gigantesque poêle emmanchée au bout d’un long bâton et une corbeille remplie de ces éternels œufs, M. Maranday et Mlle Favières furent pris d’un rire fou, inextinguible, auquel Jean fit écho de derrière la voiture où il était allé se cacher.

Le plus drôle en cette affaire, c’était les mines effarées des fillettes, sur lesquelles se peignaient tour à tour la surprise, la stupéfaction la plus profonde, l’humiliation la plus grande, la colère et le dépit. Des larmes roulaient dans tous les yeux, jusqu’à ce que, gagnées par la contagion, les enfants ne virent plus que le haut comique de cette petite scène. Geneviève, leader comme toujours, elles suivirent l’exemple des grandes personnes, et se mirent à rire aussi, mais de ce rire de l’enfance que rien ne peut arrêter, si bien qu’elles