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L’ONCLE BARBE-BLEUE

Les fillettes n’avaient donc plus aucun motif de peur, mais elles n’en eurent pas pour cela plus envie de retourner au grenier. Une autre idée leur était venue. Les imaginations d’enfants trottent si vile ! La colère évidente de cette négresse, ces jouets, ces vêtements d’enfant, et aussi les tristesses de l’oncle Isidore, prouvaient selon elles que M. Maranday avait eu le malheur de perdre un petit garçon.

Geneviève se hasarda à en parler à Mlle Favières qui répondit évasivement.

« Ne vous occupez donc pas des affaires de Monsieur votre oncle, mon enfant. »

Ainsi rebutée, Geneviève se tourna du côté des domestiques. Tous, semblant obéir à un mot d’ordre, lui dirent :

« Si Mam’zelle a quelque chose à demander sur Monsieur Maranday, elle fera mieux de s’adresser à lui. Nous autres, nous n’avons rien à vous apprendre. »

Le vieux jardinier ajouta même ceci :

« Les petites filles ne doivent pas se mêler de ce qui ne les regarde pas. M’est avis, Mam’zelle Geneviève, que vous ferez bien de n’en pas toucher mot à votre oncle… »

Les petites en conclurent qu’on leur cachait des choses effroyables.

« J’ai mon idée là-dessus », dit Valentine en se frappant le front d’un geste tragique.

Mais elle ne voulut jamais s’expliquer plus clairement.

Si nous jetions les yeux sur le block-notes sur lequel elle écrivait journellement ses impressions, et dont elle détachait les feuillets tous les dimanches pour la lettre hebdomadaire destinée à sa famille, nous apprendrions ce qu’elle ne confiait pas à ses compagnes, de peur de les effrayer.