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LE MANOIR DE VILLERAI

— La simple mention de mon engagement est une réponse suffisante à votre offre, vicomte de Noraye.

— Mais, mademoiselle, si je ne me trompe, cet engagement est entièrement le fait de vos parents.

— Néanmoins, vicomte, jusqu’aujourd’hui, nous l’avons regardé comme sacré.

— Et vous refusez donc absolument de devenir comtesse de Noraye ? demanda le jeune homme, dont la physionomie balançait entre l’incrédulité et l’irritation. Vous voudriez sacrifier la brillante position que je vous offre, un titre honorable qui vous attirera l’estime même de la plus noblesse de France, et des richesses suffisantes pour satisfaire les désirs de l’héritière d’un millionnaire ? Si vous pensez que j’exagère, parlez-en au marquis de Vaudreuil ; il connaît bien tous les de Noraye, et il vous dira si l’héritier de leur maison est un parti à refuser pour la main d’un obscur lieutenant canadien. Prenez garde, mademoiselle, que toute belle et toute courtisée que vous êtes maintenant, vous n’éprouviez plus tard du regret d’avoir persisté dans votre refus.

L’amour-propre et le sang-froid sublime du vicomte amusèrent Blanche autant qu’ils lui causèrent de colère ; mais elle ne put s’empêcher de lui répondre :

— Pour être franche, je vous dirai que même si je n’étais pas la fiancée de M. de Montarville, je déclinerais cependant l’honneur de devenir la comtesse de Noraye.

— Tant pis pour vous, mademoiselle, répondit-il parfaitement à l’aise. Je vous ai offert une destinée que cette terre barbare, couverte de neige et de sauvages, ne pourra jamais vous procurer. Vous l’avez refusée. Je n’ai plus qu’à vous dire adieu et à vous souhaiter tout le bonheur qu’une humble union avec le lieutenant Gustave de Montarville peut vous apporter.

Le vicomte salua nonchalamment, mais avec grâce, et sortit ; et Blanche, sachant à peine si elle devait se sentir vexée ou amusée de cette aventure, reprit sa place à la fenêtre et continua de regarder les vieux arbres courbés et agités par le vent tiède de mars.