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LE MANOIR DE VILLERAI

avait recouvert les routes et les forêts, depuis longtemps dépouillées de leurs ornements d’été, tandis que les arbres étaient légèrement courbés sous le poids de doux fardeaux, qui avaient revêtu leurs branches comme d’une draperie gracieuse et fantastique.

Dans les cours, les remises et autres bâtisses s’étaient transformées en tours et en fortifications flanquées de masses de neige. La charrette renversée, la porte cochère, ses montants couverts comme d’un duvet de cygne, même le puits de la ferme avec sa longue et menaçante brimbale, tout prenait une apparence inaccoutumée, quoique agréable et pittoresque. Le manoir de Villerai s’élevait, se dessinant nettement sur ce fond blanc. C’était une simple et vieille demeure, bâtie d’après l’ancien goût en pierre non taillée, et sans la moindre prétention aux beautés de l’architecture, auxquelles on pensait peu dans le temps. Elle avait cependant dans son extérieur grossier un air de solidité et de doux confort qui compensait pleinement tous ses défauts de symétrie et d’élégance. Les étroites croisées, placées dans un mur épais, étaient garnies de lourds volets de fer, et les portes étaient défendues de la même manière : prudente mesure de sûreté à cette époque dangereuse où les sauvages, les anciens propriétaires du sol, pouvaient venir, quand on les attendait le moins, exercer sur une maison isolée de terribles représailles pour tous les torts qu’ils avaient endurés.

Comme la plupart des maisons de campagne de cette époque appartenant à l’aristocratie, la première pièce était une grande salle carrée confortablement meublée de sofas et de fauteuils, et remplaçant ce que l’on appelle de nos jours le salon ou le parloir. Un énorme poêle double s’élevait au milieu de la pièce, et la lueur qui s’échappait d’entre ses plaques mal jointes, répandait sinon autant de lumière et de clarté, au moins infiniment plus de chaleur qu’une grille.

Une vieille dame à la physionomie douce et calme reposait dans un des fauteuils, à la portée de l’énorme chaleur qui s’échappait de la masse de métal rougi (et comme le remarque un de nos amis, à cette époque les poêles étaient vraiment des poêles faits pour durer). Pendant qu’elle se