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LE MANOIR DE VILLERAI

C’était là ce que Rose avait redouté ; joignant les mains, elle répondit :

— Oh ! mademoiselle de Villerai, je n’ai rien à dire. Ne me questionnez pas davantage sur ce malheureux sujet.

— Je vous l’avais dit, ma nièce, s’écria triomphalement, madame Dumont en se tournant vers Blanche, qui avait écouté cette confession implicite avec plus de chagrin que de colère : je vous l’avais dit, mais vous n’aviez pas voulu me croire. Oui, c’est justement comme je l’avais pensé. Cette sotte petite fille, s’enorgueillissant de sa jolie figure, a fait d’énormes efforts pour attirer l’attention d’un jeune gentilhomme dont le rang dans la société aurait dû exclure toute pensée de cette nature, et qui aurait dû être entièrement à l’abri des attaques de sa vanité, parce qu’il était, comme elle le savait bien elle-même, le fiancé de la bienfaitrice de son enfance. Allez, indigne enfant, et n’osez jamais rentrer sous ce toit dont vous avez si mal reconnu l’hospitalité. Allez, mais prenez garde que cette beauté que vous estimez peut-être maintenant au-dessus de tout, ne soit pour vous une cause de malédiction !

Rose sortit en sanglotant, et le souvenir de toute la reconnaissance qu’elle devait à de Montarville et à Blanche, suffit à peine pour l’aider à supporter cette cruelle épreuve. Pauvre enfant ! ce n’était là que le prélude de bien d’autres disgrâces ; car sa réception au manoir fut bientôt connue dans le public, grâce à Fanchette, qui avait toujours été secrètement jalouse de la préférence affectueuse accordée par la jeune seigneuresse à la belle du village.

Cet incident suffit pour confirmer toutes les fausses histoires et tous les mauvais cancans que la calomnie et l’envie s’étaient plu à répandre sur sa tête désormais sans défense. Les jeunes filles s’éloignèrent d’elle, les cavaliers du village, dont la vanité avait été si souvent blessée par sa froideur, l’évitèrent ouvertement ; tandis que sa demeure, la maison paternelle, vraie moquerie d’un titre aussi sacré, lui devint plus insupportable que jamais. C’était vraiment assez pour lui faire regarder le jour où elle avait d’abord rencontré Gustave de Montarville comme le plus malheureux de sa vie. Mais le fit-elle ? Non ! enfant éprise d’un rêve, le souvenir de son amour fut pour elle maintenant la plus chère