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LE MANOIR DE VILLERAI

l’accueillir avec un bienveillant sourire, se pencha sur sa broderie, affectant de ne pas remarquer la présence de son ancienne compagne.

— Il y a de singuliers rapports qui courent par le village sur vous et monsieur… de Montarville.

Ce fut avec un certain effort que la vieille dame prononça ce dernier nom, comme si sa vanité eût été blessée d’avoir à mentionner le fait.

Une vive rougeur monta à la figure de Blanche, qui devint aussitôt après d’une grande pâleur ; et regardant fixement la physionomie agitée de Rose, elle s’écria :

— Parlez, Rose, dites que tout cela est faux ! Je le sais. Vous que j’ai toujours traitée comme une égale, une sœur, vous n’avez pu ainsi conspirer contre mon honneur et ma tranquillité.

Oh ! que ce touchant appel émut profondément la jeune fille jusque dans les plus profonds replis de son cœur ! Qu’il lui était pénible, lorsqu’elle sacrifiait toutes les espérances, tous les sentiments les plus doux de sa jeunesse à son amitié pour mademoiselle de Villerai, d’être obligée de paraître aux yeux de celle-ci pour une vile ingrate, une hypocrite intrigante. Elle sentit vivement toute l’amertume du calice qu’elle s’était engagée à boire dans son noble oubli d’elle-même ; et incapable d’imaginer une réponse, elle fondit en larmes.

— Oh ! je m’y attendais ! s’écria madame Dumont, la figure irritée. Des pleurs, des pleurs ! vraiment, c’est une excellente réponse quand on n’en a pas de meilleure à donner ; mais elles ne peuvent m’expliquer, ni excuser votre longue promenade quasinocturne avec M. de Montarville, que j’ai apprise aujourd’hui de source certaine, ni votre entrevue avec lui, hier, dans la maison de votre mère.

— Ayez patience un moment, ma tante, interrompit Blanche, dont les lèvres pâlissaient d’émotion. Parlez sans crainte, Rose, expliquez tout si vous le pouvez. Dites-nous que ce n’est pas vous qui avez essayé de m’arracher mon fiancé, mais que c’est lui qui vous a recherchée, qui a suivi vos pas pour vous faire entendre, malgré vous, ses vœux et ses promesses. En un instant je puis lui rendre sa liberté, s’il la désire.