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LE MANOIR DE VILLERAI

avec plus d’une pause embarrassée, qu’elle raconta tout ce qui s’était passé entre elle et Gustave de Montarville, depuis leur première rencontre.

Sans doute, elle ne fit pas entrer dans son récit les vœux passionnés et les protestations d’affection du jeune lieutenant ; mais elle en dit assez pour montrer que le noble amour du jeune homme ne le cédait en rien à la noblesse de sa propre abnégation si pleine de générosité, et de son dévouement reconnaissant au bonheur de mademoiselle de Villerai.

Plein de joie, le digne prêtre écouta attentivement la narration de la jeune fille et quand elle eut fini, il lui dit, fier de son innocence :

— Vous avez bien agi, mon enfant, et Dieu vous bénira ; cependant, je crains que si vous persistez à ne communiquer ce secret à personne autre, le souffle de la calomnie ne laisse pas votre réputation longtemps intacte. Vous avez été vue hier avec M. de Montarville. Si encore j’étais le seul ! mais André Lebrun, qui passait alors dans les champs, à peu de distance du chemin du roi, vous a aperçus tous les deux, et il est venu ici ce matin de bonne heure, m’en dire un mot ; ensuite votre belle-mère fait le rapport le plus exagéré de la visite du jeune lieutenant chez vous. Le monde est bien porté à croire le mal qu’on dit des autres.

— Il croira tout ce qu’il voudra, dit en soupirant la jeune fille, mais je ne puis ni ne dois le contredire. Pensez-vous, monsieur, que mademoiselle de Villerai, qui a l’âme si fière, regarderait jamais son fiancé, si elle savait ce qui s’est passé entre nous ? Pensez-vous que M. de Montarville lui-même ne regretterait pas amèrement, avant peu, la belle et noble jeune femme dont il se serait aliéné les affections par une passion d’un instant ? Et ensuite, cette bonne madame Dumont, tout son désir est de voir réussir ce mariage. Oh ! non, mon bonheur ne doit pas être mis dans la balance avec celui de mes bienfaitrices ; malgré ce que j’aurai à souffrir, je vois parfaitement quel est pour moi le chemin du devoir. Vous avez eu la bonté de me promettre le secret, M. le curé ?

— Oui, mon enfant ; et si vous persistez, je tiendrai ma parole ; mais ne croiriez-vous pas assurer davantage votre