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LE MANOIR DE VILLERAI

moins pitié de vous-même. Quel espoir de paix ou de bonheur pouvez-vous entrevoir dans l’avenir si vous continuez à demeurer sous le même toit que cette femme maudite ? Et ensuite quelle terrible alternative ! Vous, dont la beauté et l’esprit pourraient être enviés par les personnes les plus aimables, vous profaneriez les dons de Dieu en épousant l’un des grossiers valets qui aspirent à votre main ?

— M. de Montarville, répondit-elle doucement, mais avec fermeté, je préférerais me marier avec l’un d’eux, malgré toute ma répugnance, plutôt que de rendre votre vie malheureuse, en acceptant la main que vous daignez m’offrir. En épousant un pauvre paysan comme moi, je serais au moins certaine de ne pas faire plus tard son malheur, et de causer du chagrin et de l’amertume à la noble et distinguée jeune dame qui a été ma plus douce amie et ma meilleure protectrice ; elle à qui je dois principalement les légers avantages que vous semblez tant apprécier en moi.

Il y avait un tel air de fermeté, d’assurance dans sa douce voix et son aimable figure, tempéré par une telle tendresse féminine, que de Montarville comprit qu’il n’y avait pas d’espoir pour lui, et il répondit tristement :

— Vous êtes donc déterminée, Rose, à sceller mon malheur ainsi que le vôtre ?

— Oh ! non, reprit-elle en fondant en larmes ; votre bonheur et celui de mademoiselle de Villerai me sont plus chers que tout le reste, et en l’assurant j’assure aussi le mien. Écoutez-moi, M. de Montarville, et cédant au généreux enthousiasme qui l’élevait dans le moment au-dessus de toute autre considération, elle ajouta :

— Je vais vous dire ce que vous avez à faire. Vous allez épouser la noble demoiselle qui, sans aucun doute, doit vous aimer beaucoup, quoique sa réserve l’empêche de le montrer ; vous réparerez votre faiblesse momentanée d’aujourd’hui, par plus d’amour et plus de dévouement, et la religion et le monde souriront à votre union.

— Et vous, Rose, que ferez-vous ? demanda-t-il tristement.

— Moi, je ne me marierai jamais, murmura-t-elle à voix basse, tandis qu’une vive rougeur couvrait ses joues et son front.