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LE MANOIR DE VILLERAI

— Oh ! ma pauvre et gentille enfant, quelle triste vie vous menez ici ! Pouvez-vous, voulez-vous supporter plus longtemps de tels tourments ?

Encore trop émue, elle ne fit aucune réponse, tandis qu’il pensait intérieurement, avec un pénible serrement de cœur, que le seul moyen qu’avait la jeune fille d’échapper à sa triste situation était d’épouser l’un des grossiers prétendants qui recherchaient sa main. La pensée fut terrible, le combat intérieur fut effroyable ; mais avec un suprême effort, se ravisant tout à coup, il s’écria avec passion :

— Rose, vous si belle et si accomplie, oh ! non, vous n’êtes pas faite pour une telle destinée ! Espérez, ayez confiance en moi, et mon amour vous protégera maintenant et toujours contre les peines et les chagrins de la vie !

Étonnée au delà de toute expression, la jeune fille se leva soudainement, repoussa de Montarville avec fermeté, mais en pâlissant.

De Montarville, cependant, saisissant sa petite main, continua avec la même tendresse passionnée :

— Oui, vous m’écouterez et personne ne viendra nous interrompre. Je vous emmènerai avec moi dans la belle France, n’importe où, pourvu que vous soyez uniquement à moi. Parlez, ma bien-aimée, n’en sera-t-il pas ainsi ?

Mais Rose avait maintenant retrouvé sa voix, et d’un ton d’angoisse mêlé de reproche, elle murmura :

— Qu’ai-je fait, M. de Montarville, pour m’outrager et m’insulter de cette manière ? Ah ! je n’attendais pas cela de vous !

— Outrage ! insulte !… répéta-t-il avec étonnement ; mais aussitôt, comprenant ce qu’elle voulait dire, il murmura, de sa voix la plus douce :

— Ah ! pensez-vous, Rose, que je pourrais chercher à faire injure, ou à causer du chagrin ou de la honte à une personne que j’aime tant ? Ah ! non ; vous m’êtes trop chère, et je vous demande d’être mon épouse aimée et honorée, unie à moi devant Dieu et devant les hommes.

La jeune fille leva ses grands yeux noirs, et les tint pendant un instant fixés sur le jeune homme, comme pour lire jusque dans son âme ; mais l’expression de franchise et de noblesse répandue sur toute la physionomie de Gustave,