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LE MANOIR DE VILLERAI

voix de tonnerre, et presque aussi irrité que madame Lauzon elle-même.

— Un tel langage, à moi, dans ma propre maison ! répondit-elle en supportant sans broncher les regards étincelants du jeune homme. Et qui êtes-vous donc, mon jeune monsieur, pour parler ainsi à madame Lauzon, sous son propre toit ? Un fat, un petit lieutenant, une simple recrue ? Vous n’êtes pas encore notre seigneur, Dieu merci, et vous ne le deviendriez jamais si mademoiselle de Villerai pensait comme moi.

De Montarville, à peine capable de maîtriser davantage sa colère, fit un pas vers elle, et la profonde indignation peinte sur sa figure fit tout à coup cesser l’étonnante volubilité de la virago.

Intimidée, mais non vaincue, elle tourna un regard malin sur sa belle-fille, et s’écria d’un ton sarcastique :

— Ah ! mademoiselle Rose, j’ai donc trouvé à la fin la raison secrète pour laquelle vous avez refusé tous vos humbles prétendants. Quand on a un beau monsieur de la ville sur lequel on compte, on ne peut pas regarder d’un bon œil de pauvres habitants ignorants. Mais prends garde, ma belle, que ta délicate figure de poupée ne t’apporte plus de trouble que de bien.

Ce reproche poussa à bout la patience de Gustave, et avant qu’elle eût fini sa tirade, il la saisit de sa main de fer et la porta jusqu’à la porte du tambour, au travers de laquelle il la poussa sans cérémonie, avec une rapidité et une facilité que l’indignation seule pouvait lui donner, car madame Lauzon n’avait ni la taille ni le poids d’une sylphide. Frappée d’une crainte salutaire, car, se disait-elle, puisqu’il a porté la main sur moi, jusqu’où ne peut pas le pousser sa colère ? et croyant trouver une vengeance plus sûre et plus cruelle qu’en recommençant la dispute, elle saisit un grand châle accroché près de la porte, et s’en couvrant, elle se précipita dans la direction du manoir, afin d’y raconter ses chagrins.

De Montarville ne se trouva pas plus tôt seul avec Rose, que se tournant vers la jeune fille, toute tremblante et toute agitée, qui sanglotait sur son siège, il lui dit d’une voix remplie d’une profonde et tendre sympathie :