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LE MANOIR DE VILLERAI

naturellement actif se révoltât contre la complète inaction dans laquelle il était plongé, soit que son orgueil fût blessé de la réserve, un peu froide de mademoiselle de Villerai ; ou enfin soit qu’un autre sentiment secret, connu seulement de son propre cœur, le dominât, Gustave n’était certainement plus aussi gai ni aussi joyeux que pendant cette sombre après-midi de décembre où nous avons fait sa connaissance.

Telle étant son humeur, il n’est pas difficile de comprendre comment, malgré sa position en apparence digne d’envie, il vit la fin de son congé approcher sans de grands sentiments de regret. Il n’était plus maintenant qu’à deux jours de cette époque, et par une belle après-midi, Blanche étant retenue à sa chambre par une violente migraine, il partit pour faire une longue marche, heureux d’échanger la conversation un peu monotone de madame Dumont et la température excessivement élevée que cette digne dame affectionnait tant, contre la solitude et l’air pur et frais des plaines couvertes de neige.

Pour se préserver du froid, il marchait d’un pas très rapide, et en arrivant à un espace étroit où le sentier solitaire qu’il suivait était coupé par un autre, il se trouva tout à coup, contre toute attente, en face de Rose Lauzon.

Il l’accosta immédiatement, en souriant, avec une politesse pleine de déférence, et continua de marcher à ses côtés, prenant plaisir à considérer ses yeux baissés, sa joue d’un vif incarnat, son trouble, et l’évidente contrariété qu’elle éprouvait d’être ainsi accompagnée.

Avec cette manière gracieuse et aimable qui lui était particulière, Gustave lui parla de son père, d’elle-même, de sa position ; ensuite il fit allusion à son prochain départ, rappela le triste sort du jeune Ménard, en un mot il toucha à tous les sujets qui pouvaient lui fournir un prétexte de prolonger l’entretien. Sa satisfaction cependant était loin d’être partagée par sa compagne, dont l’embarras augmentait à chaque instant. Enfin, incapable de maîtriser davantage son trouble, elle lui dit timidement :

— Pardon, monsieur, mais quoique vous soyez assez bon pour ne pas considérer que je ne suis qu’une pauvre fille de campagne, moi, je ne dois pas l’oublier. Il faut