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LE MANOIR DE VILLERAI

fois ; le bruit des chaînes, les cris plaintifs, les miaulements, que sais-je enfin ? leur avaient fait prendre la fuite.

Les voisins commençaient à devenir rares comme les justes dans Sodome, tant ce voisinage était terrible, effrayant, Vingt fois on tenta de se rendre à la maison, vingt fois la terreur fit abandonner un projet aussi insensé.

Un jour, pourtant, un cultivateur de St-Laurent, bien dévot au patron de sa paroisse, passait par la montagne, vers trois heures de l’après-midi. Le soleil dardait ses rayons les plus ardents sur le sol brûlant et poussiéreux. Notre voyageur, fatigué, prit le parti de faire une halte dans la montagne, à la première maison qu’il trouverait sur sa route. C’était justement chez un des voisins de la maison terrible. Il frappe à la porte, il entre, il salue, et va s’asseoir tranquillement après avoir demandé l’hospitalité. Deux hommes assis dans un coin de la maison conversaient en fumant.

— Dis donc, Pierre, disait l’un d’eux, sais-tu que tu n’es pas prudent de demeurer si près de la… tu sais ?

— J’y ai déjà pensé, Baptiste ; je commence à avoir peur. Chaque soir, j’entends des bruits étranges autour de ma maison ; puis, il y a deux jours, j’ai vu… à vingt pas de ma porte… à minuit… une bête noire… mais curieuse : tu n’en as jamais vu comme ça.

— À ta place, Pierre, je m’en irais. Sais-tu ce que je pense, moi, Pierre ? je pense que c’est un revenant qu’il y a là. Il y a des revenants, va, je t’assure.

— Mais alors, Baptiste, pourquoi ne pas y aller une bonne fois, avec des fusils, une bande de vingt hommes, par exemple ?

— Pauvre Pierre, que veux-tu faire avec des fusils contre des revenants ? C’est inutile ; quand on est mort, c’est pour toujours. Leurs esprits reviennent, mais pas leurs corps. Un de mes oncles est mort de même ; il avait essayé de tirer son fusil comme ça, sur un revenant : le fusil a viré bout pour bout, et le coup lui a porté dans l’estomac. Pauvre oncle ! c’était un bon homme, mon oncle, comme ils sont rares aujourd’hui.

Le voyageur avait écouté cette conversation avec une inquiète curiosité. Dix fois, il avait tenté de les inter-