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LE MANOIR DE VILLERAI

très nombreux. Quelques-uns laissaient entrevoir leur incrédulité, d’autres déclaraient gravement qu’il était souvent arrivé des choses plus étranges et plus terribles, et qu’il en arriverait encore bien d’autres ; tandis qu’un troisième parti, craignant prudemment de se compromettre, se contentait de faire des inclinations de tête qui pouvaient tout aussi bien se prendre pour des signes d’assentiment que de dissentiment.

À la fin, l’un des vrais croyants s’écria avec énergie :

— Diantre ! pourquoi ne serait-ce pas vrai ? Moi aussi, je puis vous raconter une histoire, mais une histoire véritable, aussi effrayante que celle de Baptiste.

— En étiez-vous le héros, M. Michel ? demanda coquettement une jeune fille aux cheveux noirs, dont les lèvres souriantes étaient loin d’exprimer une croyance sincère dans ces merveilles.

— Non, mademoiselle Marie ; mais je l’ai entendu raconter par le fils de celui à qui l’aventure est arrivée ; et j’espère que c’est là une autorité suffisante pour une petite fille comme vous. Eh bien ! mon histoire est au sujet d’un loup-garou.

À ce nom effrayant, la plupart des auditeurs devinrent involontairement plus sérieux ; car de toutes les étranges fictions qu’a créées l’imagination superstitieuse des paysans canadiens, il n’en est pas de plus accréditée ni de plus redoutée que celle du loup-garou ; et il y a quelques années elle était universellement adoptée. Aujourd’hui même, dans certaines paroisses, mentionner ce nom le soir suffit pour faire pâlir.

— Mais, dites-nous donc, M. Michel, demanda à son voisin une tranquille petite fille de quinze ans, assise à côté de l’homme aux cheveux gris, qu’entendez-vous réellement par loup-garou ?

— Un loup-garou, mon enfant, comme chacun ici le sait, c’est un homme qui s’est abandonné à toutes sortes de crimes et de vices pendant sept ans, sans jamais penser à Dieu. Au bout des sept années, le diable acquiert sur lui un certain pouvoir et le change en une bête effrayante, condamnée à errer pendant la nuit dans des lieux solitaires, jusqu’à ce qu’il recontre quelqu’un qui ait le courage de le délivrer, en le