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LE MANOIR DE VILLERAI

feu presque éteint qui n’éclairait que faiblement les quatre murs de cette maison, si toutefois l’on peut appeler cela maison. Je fus frappé de la nudité de cette misérable demeure. Il n’y avait rien, rien du tout, ni lit, ni table, ni chaise.

Je salue aussi poliment que me le permettait mon titre de voyageur des pays d’en haut, ces deux personnages à figure étrange et immobile : politesse inutile, on ne me rend pas mon salut, on ne daigne seulement pas lever la vue sur moi.

Je leur demande la permission d’allumer ma pipe et de prendre un petit tison pour mes compagnons qui sont sur la grève ; pas plus de réponse, pas plus de regard qu’auparavant. Je ne suis ni peureux, ni superstitieux ; d’ailleurs, j’avais déjà eu des aventures de cette sorte dans le Nord ; eh bien ! n’eût été la honte de reparaître devant mes compagnons, sans feu, eux qui avaient vu et qui voyaient encore la petite fenêtre éclairée, je crois que j’aurais gagné la porte et que je me serais enfui à toutes jambes, tant était effrayantes l’immobilité et la fixité des regards de ces deux êtres.

Je rassemble, en tremblant, le peu de force et de courage qui me restait, je m’avance vers la cheminée, je saisis un tison par le bout éteint et je passe la porte. Chaque pas qui m’éloignait de cette maudite cabane, me semblait un poids de moins sur le cœur. Je saute dans mon canot avec mon tison et le passe à mes compagnons, sans souffler mot de ce qui venait de m’arriver : on eût ri de moi.

Chose étrange ! Ce feu ne brûlait pas plus leur tabac que si c’eût été un glaçon.

— Nom de Dieu ! dit l’un d’eux, qui l’avait tenu plusieurs instants sur sa pipe, mais sans succès, que signifie cela ? ce feu-là ne brûle pas !

J’allais leur raconter ma silencieuse réception à la cabane, sans craindre de trop faire rire de moi, puisque le feu que je rapportais ne brûlait pas, du moins le tabac, lorsque tout à coup la petite lumière de la cabane éclate comme un incendie, disparaît avec la rapidité d’un éclair et nous laisse dans la plus profonde obscurité. Au même instant on entend des cris de chat épouvantables ; deux énormes matous,