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LE MANOIR DE VILLERAI

avec l’intention de demander à madame Dumont le lieu où demeurait Rose. À sa grande surprise, le premier objet qu’il vit fut Rose elle-même, l’aiguille à la main et agenouillée au pied du fauteuil de Mme Dumont, occupée à renouveler la couverture en damas de son coussin.

En entendant la porte s’ouvrir, elle tourna la tête et reconnut Gustave. Un regard de surprise anima sa figure, et ses joues et son front devinrent cramoisis. Qu’elle s’en voulait à elle-même pour cette preuve involontaire de son émotion ! Combien elle blâmait, elle maudissait l’agitation qui faisait trembler ses petits doigts, de manière à lui rendre presque impossible la continuation de son ouvrage ! Sa confusion augmenta encore quand de Montarville s’approcha d’elle et commença le récit du message que lui avait confié le pauvre Ménard. Elle écouta, les yeux baissés, sans oser les lever une seule fois ; mais quand il vint à raconter la mort édifiante du jeune soldat, et qu’il lui eut répété ses paroles touchantes, des pleurs coulèrent le long des joues de la jeune fille et se répandirent comme de brillants diamants sur le damas qu’elle tenait encore à la main.

Que de Montarville trouva fascinatrice cette jeune et douce figure ! Avec quelle exactitude, avec quelle attention il observait les différentes émotions qui la troublaient, sans s’apercevoir de l’expression de profonde admiration peinte sur sa propre physionomie.

Tout à coup la porte s’ouvrit, et Blanche de Villerai apparut avec un joyeux sourire sur le visage ; mais la gaieté de ce sourire diminua instantanément. Pourquoi ? Avait-elle attribué à son amant les pensées et les sentiments peints sur sa figure ? Ou bien seulement son air attentif et profondément admirateur pendant qu’il se tenait auprès de Rose, avait-il frappé douloureusement sa fiancée ? On ne sait, mais la contenance de cette dernière devint plus sérieuse, et elle s’assit sans regarder davantage ni l’un ni l’autre de ses compagnons, de Montarville, un peu déconcerté, s’arrêta, et Rose, croyant le récit achevé, le remercia timidement ; et souhaitant le bonjour à Mlle de Villerai, elle quitta le salon, son ouvrage à la main. Comme elle passait près de Blanche, celle-ci jeta sur elle un regard vif et inquisiteur. Il n’y avait dans ce coup d’œil ni jalousie