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LE MANOIR DE VILLERAI

toute la belle saison, détruisant les dernières espérances des infortunés colons ; enfin, pour comble de malheur, la récolte fut encore plus mauvaise que celle de l’année précédente.

La situation du Canada, malgré les succès qui accompagnaient généralement ses armes, devenait chaque jour de plus en plus triste et désespérée. Quand l’hiver arriva, l’armée fut dirigée sur l’intérieur ; et à cause de l’extrême cherté des provisions, et des reproches qu’on ne cessait de faire au gouvernement, reproches qui devenaient encore plus vifs par le honteux système de pillage et de péculat exercé sous l’autorité de l’intendant Bigot, de Montcalm ne put entrer en campagne, pour suivre les mouvements des troupes anglaises, que très tard l’année suivante.

De Montarville, peu de temps après l’arrivée de son régiment à Montréal, obtint un congé et partit pour Villerai ; certain d’avoir, après les heureux résultats de la dernière campagne, un bienveillant accueil de la part de patriotes aussi ardentes que mademoiselle de Villerai et sa tante. En réalité, il désirait secrètement, en route, avoir reçu quelque égratignure ou coup de sabre, pour mériter encore davantage leur sympathie. Cependant, se disait-il à lui-même en souriant, j’aurai encore beaucoup de temps et d’occasions d’obtenir l’un et l’autre, avant que la guerre finisse.

Son arrivée fut comme un rayon de soleil pour les habitants du manoir. Car les bruits contradictoires et les rapports que l’on ne cessait de fabriquer et de répandre chaque jour, joints aux souffrances des habitants causées par la rareté croissante des provisions, qui commençaient déjà à se faire grandement sentir dans les districts ruraux, avaient répandu dans ces murs ordinairement si joyeux, un nuage de tristesse qu’ils n’avaient peut-être jamais connu.

Blanche reçut son amant avec une vive amitié, doublement flatteuse à cause de son caractère ordinairement si réservé ; et de Montarville ne cessait de se demander ensuite, autant peut-être pour s’accuser lui-même secrètement que pour se féliciter : Ne dois-je pas être extraordinairement heureux de posséder l’amour et l’estime d’un cœur si noble ?

Cependant, il n’avait pas oublié sa promesse à Charles Ménard ; et le lendemain de son arrivée, il se rendit au salon