Page:Leprohon - Le manoir de Villerai, 1925.djvu/47

Cette page a été validée par deux contributeurs.
50
LE MANOIR DE VILLERAI

Un soir, il était assis dans sa tente, à Carillon, quand un soldat vint lui dire qu’un jeune volontaire canadien grièvement blessé désirait ardemment le voir. Aussitôt, il mit son shako et suivit le messager. Arrivé au lieu désigné, il jeta sur la figure jeune et pâle du malade un regard qui suffit pour lui montrer que celui-ci lui était parfaitement inconnu. Il s’assit cependant au chevet de son lit et, lui prenant doucement la main, il lui demanda quel service il pouvait lui rendre.

Pendant longtemps le blessé le regarda avec anxiété, puis, apparemment encouragé par l’expression de douceur et de compassion peinte sur son visage, il le remercia faiblement, et ajouta :

— On m’a dit que non seulement monsieur connaissait mademoiselle de Villerai, mais que même il lui était fiancé. Est-ce vrai ?

Surpris de cette question, de Montarville répondit affirmativement.

— Ce n’est pas pour vous parler d’elle, monsieur, que je vous ai envoyé chercher ; mais pour vous dire un mot d’une personne qui m’est aussi chère que cette dame vous l’est sans doute. Au manoir, n’avez-vous jamais rencontré une jeune fille appelée Rose Lauzon, ou n’en avez-vous jamais entendu parler ?

Gustave tressaillit involontairement en répondant oui.

— Eh bien ! quand vous retournerez à Villerai, fier et heureux, pour réclamer votre fiancée, serait-ce trop vous demander que de chercher Rose Lauzon et de lui dire comment Charles Ménard est mort, en pensant à elle et en la bénissant à son dernier soupir ? Oh ! M. de Montarville, je ne suis qu’un pauvre paysan ignorant ; mais aucun monsieur n’a jamais aimé la petite Rose avec plus de sincérité et plus de dévouement que moi.

— Et vous aime-t-elle en retour ? demanda Gustave avec une expression indéfinissable de compassion dans ses grands yeux noirs.

— Hélas ! non, monsieur. Si elle m’avait aimé, je travaillerais maintenant tranquille sur ma terre à Villerai ; car ce n’est pas la gloire, ce n’est pas l’amour de la vie militaire qui m’a fait soldat. Mais quand j’ai demandé à Rose