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LE MANOIR DE VILLERAI

verrait bientôt se réaliser le rêve constant de son cœur.

La douleur de de Montarville en quittant sa fiancée, fut bientôt oubliée au milieu des tracas et de l’activité militaires qu’il trouva au quartier général, à Montréal, lors de son arrivée. On faisait des préparatifs pour une expédition contre le fort William-Henry, à la tête, du lac George, ou Saint-Sacrement, comme il est aussi appelé.

En dépit du froid intense d’un hiver extraordinairement rigoureux, puisque le thermomètre se tenait continuellement entre 20° et 23°, un corps de 1,500 hommes, sous le commandement de Rigaud de Vaudreuil et du chevalier de Longueuil, se mit en marche le 23 de février. Les souffrances et les fatigues endurées par cette troupe héroïque ne peuvent se comparer qu’au courage immense avec lequel elles furent supportées. Elle traversa le lac Champlain et le lac George à pied, après avoir parcouru à la raquette un espace de soixante lieues, en tirant après eux leurs provisions sur des traîneaux. Un terrain glacé et couvert de neige formait leur unique couche pendant la nuit ; une tente de toile et une robe de buffle étaient leur seul abri contre le froid piquant de nos hivers septentrionaux.

Le 18 mars, l’armée se trouvait en face du fort William-Henry. M. de Rigaud, voyant que la place était à l’abri d’un coup de main, dut se contenter de détruire tous les magasins, moulins, vaisseaux, en un mot tout ce qui se trouvait aux environs. L’attaque commença dans la nuit du 18 et dura jusqu’au 22 sous le feu continuel des troupes anglaises. Alors les assaillants, ayant fait au fort tout le tort possible, se remirent en marche pour regagner leurs quartiers. Leur retour fut marqué du phénomène qui trompa plus tard l’armée de Napoléon en Égypte, et qui, malgré d’autres circonstances, venait probablement de la même source. Environ un tiers du détachement fut affligé sur la route d’une espèce d’ophtalmie causée, comme on le pensa, par l’éclatante blancheur de la neige ; et leurs compagnons, sensibles et remplis de pitié, durent les conduire par la main tout le reste du voyage. Heureusement pour eux, dès leur arrivée à Montréal, on leur prodigua des soins attentifs, et au bout de deux jours, ils recouvrèrent cette vue précieuse que plusieurs avaient crue perdue pour toujours.