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LE MANOIR DE VILLERAI

mable Blanche de Villerai, dont il allait se séparer. L’image d’une jeune fille aussi élégante et aussi belle, n’avait-elle jamais passé dans son imagination ? Aucun souvenir de l’irréprochable beauté et des grâces timides de l’humble petite Rose, n’avait-il jamais pris place dans son âme, s’y jouant et s’y attachant, malgré tous les efforts pour le chasser ? C’est possible, mais le jeune homme n’osait se l’avouer, même dans le trouble de son âme.

C’était pendant une après-midi froide et neigeuse. Une carriole attendait en face du manoir, et de Montarville, bien enveloppé de fourrures, était auprès de sa fiancée, dans la même chambre où nous avons d’abord introduit le lecteur. Tous deux avaient l’air infiniment plus triste que de coutume.

De Montarville, rompant un silence déjà trop prolongé, s’écria : Je suis arrivé ici au milieu de la tempête et de la neige. Mais si encore mon départ excitait des sentiments plus affectueux dans un cœur bien connu, que mon arrivée n’a semblé le faire !

Blanche rougit et répondit :

— Je vous dirai cela quand vous reviendrez nous voir.

— Vous avez raison, Blanche, reprit aussitôt de Montarville avec un regard animé. Alors, je serai plus digne de vous, car j’aurai tiré, pour une noble cause, mon épée encore vierge. Quand même je reviendrais simple lieutenant comme je vous quitte, je serai plus digne à mes propres yeux et aux vôtres, j’ose l’espérer.

Blanche resta silencieuse, mais un instant après, plaçant sa main dans celle de son fiancé, elle lui dit doucement :

— Il est temps de partir, Gustave. Que le ciel vous protège et vous conserve. Adieu !

De Montarville déposa un prompt baiser sur la jolie main de Blanche ; et il s’éloigna, l’âme pleine de tristesse.

De même que la jeune fille était restée si longtemps à regarder par la croisée le jour de l’arrivée de son fiancé, ainsi demeura-t-elle, après son départ, à contempler la scène au dehors. Madame Dumont entra dans l’appartement un instant après, mais se garda bien de faire aucun commentaire sur l’évidente préoccupation de sa nièce, qui lui plaisait infiniment ; car elle semblait lui présager qu’elle