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LE MANOIR DE VILLERAI

pour partir, elle ne fit aucune réponse, mais accueillit avec sa douceur ordinaire son souhait de bonsoir un peu entaché de chagrin.

À peine avait-il quitté la maison que madame Lauzon, les traits bouleversés par la colère, arriva au milieu de la chambre.

— Qu’est-ce que je viens d’entendre là ? s’écria-t-elle en frappant avec colère le plancher du pied. Toi, pauvre misérable petite Rose Lauzon ; toi, tu as osé refuser un bon parti comme André Lebrun ! Es-tu folle ; ou le peu d’esprit que tu avais auparavant a-t-il été gâté par ces livres détestables que tu es toujours à lire quand tu peux en attraper la chance ? Me penses-tu assez bonne pour toujours te garder dans cette maison, surtout quand tu as une occasion favorable d’en sortir ? Réponds-moi, malheureuse.

Pauvre enfant ! Aucune réponse de sa part n’aurait pu conjurer cette tempête de colère et de haine qui venait d’éclater si soudainement sur sa tête dévouée ; elle demeura assise, silencieuse, effrayée et tremblante, les lèvres convulsivement jointes ensemble pour retenir les sanglots qui se pressaient dans son sein.

— Oui, continua cette femme tyran, sans s’apercevoir dans sa colère qu’elle trahissait son indigne rôle d’écouteuse : quelle farce, toi, petite figure de catin, créature inutile, toi, aller dire à André Lebrun que tu ne pourras jamais être sa femme, que tu ne peux laisser ton vieux père ! Comment oses-tu ?…

— Qu’est-ce que tout ceci, ma femme ? demanda Lauzon, qui venait justement d’entrer à temps pour entendre la dernière phrase.

Ce fut le signal d’une nouvelle explosion de colère, et Joseph, afin de protéger sa fille contre la violence, dit en toute hâte :

— Va vite, Rose, fermer la porte de l’étable que j’ai follement laissée ouverte ; les animaux peuvent sortir.

La jeune fille saisit avec reconnaissance ce prétexte de s’échapper, et, un instant après, elle était appuyée sur la porte de l’étable, qui n’était restée ouverte que dans l’imagination de son pauvre père. Elle ne s’apercevait pas, dans l’état fiévreux et excité de son esprit, qu’elle était