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LE MANOIR DE VILLERAI

Comme il parlait, la porte s’ouvrit et la redoutable madame Lauzon entra.

C’était une femme forte et bien prise, à l’extérieur grossier ; elle paraissait avoir trente ans, avait des yeux noirs et méchants et un teint hâlé par le soleil et les travaux du dehors, variant entre le brun et le jaune.

Avec un ton et des manières brusques, justifiant pleinement les incessants regrets de ce pauvre Lauzon sur son second mariage, elle se tourna vers Rose, en s’écriant brusquement :

— Qu’as-tu fait de ce pauvre petit Jacquot ? Tu l’as mis au lit, comme de raison. Oh ! oui, tu ferais n’importe quoi pour te délivrer du trouble d’en avoir soin. Et toi, continua-t-elle en s’adressant aigrement à son mari, comment peux-tu rester ici à jaser et à fumer ta pipe, quand tu sais qu’il n’y a pas deux morceaux de bois dans la maison ? Ne me dis pas qu’il y en a une pile à la porte, tu sais que je veux l’avoir entré dans la maison et cordé près du foyer.

C’est ainsi que, en grondant et en jetant de côté et d’autre tous les objets, elle passa dans sa chambre pour se dépouiller de ses vêtements de dessus. La conviction que son mari et sa belle-fille venaient de jouir ensemble d’une conversation paisible, dont elle avait peut-être elle-même formé le principal sujet, exaspérait outre mesure son caractère tyrannique.

Quelques instants après, elle revint avec deux livres à la main, qu’elle jeta sur la table, en s’écriant avec violence :

— Que veulent dire ces livres, mademoiselle Rose ? Encore des singeries affectées et insensées de tes supérieures. N’as-tu plus de laine à filer, plus de tricot, de lavage, de raccommodage pour occuper tes mains délicates, que tu puisses ainsi trouver le temps de faire la grande dame et de t’amuser avec des livres ?

— C’est monsieur le curé qui me les a prêtés dimanche dernier, répondit doucement la jeune fille.

— Oui, justement comme tous les autres ; il fait tout ce qu’il peut pour te tourner la tête, quoique je lui aie dit souvent que tu étais déjà assez gâtée. Pourquoi donc ne vas-tu pas au manoir, et là t’asseoir au milieu des belles dames, pour y faire des grimaces et des révérences ? Tu es trop grande demoiselle pour une pauvre maison comme