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LE MANOIR DE VILLERAI

blanchies, toutes dans un ordre parfait, disait qu’il observait à la lettre au moins quelques-unes des règles de l’agriculture modèle. Nous ne prétendons pas que ses animaux pussent, aucunement faire concurrence à ces bêtes de grand prix qu’on voit maintenant dans nos expositions ; ou que ses moutons, petits et décharnés, donnassent l’espérance de devenir plus tard des brebis énormes de graisse et de chair ; mais au moins ils étaient tenus proprement et avec soin. L’intérieur de la ferme correspondait en tous points à cet extérieur confortable. La propreté la plus scrupuleuse régnait dans tous les détails ; depuis les bandes de catalogne ou tapis de fabrique domestique qui couvraient le plancher de la meilleure chambre, jusqu’au buffet qui en ornait un des angles, tous les articles reluisaient de netteté comme un miroir. Par une porte entr’ouverte, on apercevait un lit élevé, entouré de tentures d’une blancheur éclatante, tandis qu’en arrière de la maison, il y avait la grande cuisine, avec son plancher bien propre et bien frotté. On y voyait peu de meubles, une table, quelques chaises basses et l’énorme poêle double, invariable ornement de toutes les maisons d’habitant.

Assis tout auprès, fumant tranquillement sa pipe, était un homme âgé, dont les traits, quoique tristes et creusés par les chagrins, paraissaient pourtant avoir été autrefois d’une grande régularité. Vis-à-vis de lui était Rose Lauzon, s’efforçant avec patience d’adoucir et de consoler un criard marmot de treize mois. La tristesse empreinte sur la figure du père se reflétait en partie sur celle de la jeune fille.

— Ta vie est bien triste, pauvre petite. Oh ! pourquoi, pourquoi ai-je été si fou que de me remarier ?

Joseph Lauzon répétait, cette plainte tous les jours depuis six ans ; mais sa position ne s’était pas améliorée pour cela.

Rose secoua tristement la tête.

— C’est inutile, papa, de regretter le passé, il ne peut être réparé.

— Oui ! mais ce regret est pour moi un soulagement, une consolation, reprit le père avec énergie. Que deviendrais-je, si je n’avais cette satisfaction ? Que deviendrais-je si je ne pouvais de temps en temps soulager mon cœur,