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LE MANOIR DE VILLERAI

repoussante ou désagréable, vous auriez peut-être hésité un instant avant de ratifier le contrat.

Madame Dumont, à moitié désarmée, sourit malgré soi. Toutefois, en se levant pour vaquer à ses nombreux devoirs domestiques, elle dit :

— Cela, petite, n’aurait fait aucune difficulté : j’étais trop bien élevée pour avoir un désir ou une volonté propre.

— Est-ce que je l’aime ? est-ce que je l’aimerai ? reprit doucement la jeune seigneuresse quand elle se trouva seule. La réponse ne vint pas ; et reposant la tête sur sa main, elle fut bientôt absorbée dans de profondes méditations.


III


Peu de temps après la première visite de de Montarville au manoir, une joyeuse société était réunie au dedans de ses murs hospitaliers : M. de Choiseul, seigneur d’une des paroisses voisines, et son aimable jeune femme ; le vicomte Gaston de Noraye, capitaine dans le Roussillon, jeune noble un peu fat, qui était débarqué au Canada avec la persuasion d’être arrivé aux dernières limites de la civilisation, illusion qu’il persistait à entretenir malgré les nombreux démentis reçus chaque jour ; mademoiselle de Morny, une des belles à la mode de Montréal, gracieuse mais frêle jeune fille, aux cheveux blonds pâles et aux yeux de ce bleu foncé qu’on rencontrait si rarement alors dans la colonie. Elle était très tranquille, pour ne pas dire insensible, et ne paraissait sortir de ses rêveries et n’attacher d’intérêt qu’aux sourires étudiés et au langage affecté de cet élégant Français. Il y avait encore plusieurs autres amis de la maison, des jeunes filles aux yeux noirs et pétillants, de galants cavaliers, mais comme ceux-là n’entrent aucunement dans le détail de notre récit, il est inutile de les spécifier davantage.

Tout en remplissant son rôle d’hôtesse avec une grâce merveilleuse, une rare habileté, et toujours avec cette fière réserve qui formait un des points les plus saillants de son