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LE MANOIR DE VILLERAI

C’était de Montarville et sa jeune épouse.

Le lecteur ne le jugera pas trop sévèrement, si nous avouons en toute sincérité que dans son bonheur d’appeler Rose sa femme, toute autre pensée de tristesse et de regret était pour le moment complètement oubliée.

Et Rose, à quoi pensait-elle ? qui ressentait-elle ? Quelquefois elle tremblait en voyant l’étendue de son bonheur, craignant qu’il ne fût trop parfait pour durer, trop complet pour cette terre. Mais elle avait été longtemps à l’école de la souffrance et du chagrin, et ce n’était peut-être que la récompense de la patience et du courage avec lesquels elle avait supporté tant de jours d’épreuves.

Leur carrière dans la suite fut vraiment heureuse ; et dans la terre de leur adoption, ils se firent des amis aussi dévoués que ceux qu’ils avaient laissés derrière eux. En vain des langues malicieuses soufflèrent tout bas l’humble extraction de Rose, essayant ainsi d’empêcher la belle jeune femme de pénétrer dans ce cercle impénétrable qui s’appelle lui-même la bonne société. L’effort fut inutile. Peu importe ce que Rose avait été auparavant, elle était maintenant madame de Montarville, avec un nom ancien et irréprochable ; et cela, uni à une grâce sans égale et à une exquise beauté, la rendit en peu de temps la bienvenue dans les salons les plus inabordables.

Ils eurent sans doute des chagrins, car qui n’en a pas ? Trois nobles garçons, l’orgueil de leur père, la joie de leur mère, furent l’un après l’autre enlevés à l’amour de leurs parents, et placés sous le gazon fleuri du Père-Lachaise. Mais il en vint d’autres qu’épargna le trépas ; et quelles que fussent les épreuves qui assaillirent subséquemment leur ménage, ils trouvèrent dans l’ardent amour qui unissait leurs cœurs un baume et un soulagement à tout.

Malgré le culte et l’espèce d’adoration que de Montarville porta toujours à sa femme, il y eut constamment dans la profonde affection de celle-ci une sorte de respect et de reconnaissance illimitée, qui lui faisait garder comme une loi tout désir de son mari. Elle n’oublia jamais, quoiqu’il ne parût pas se le rappeler lui-même, qu’elle était une pauvre paysanne que le généreux amour de Gustave avait élevée à une aussi haute position.