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LE MANOIR DE VILLERAI

vous jamais eu de nouvelles de votre belle-fille depuis qu’elle vous a quittée ?

Une expression de colère se répandit aussitôt sur la figure de la veuve Lauzon, et elle répondit avec un regard irrité :

— M. Lapointe, vous vous amusez certainement à mes dépens. Vous savez bien que depuis que cette fille ingrate m’a quittée d’une manière si inattendue, je ne l’ai jamais vue et je n’en ai jamais entendu parler, sinon lorsque vous m’avez dit de temps en temps qu’elle se portait bien et vivait d’une manière confortable, plus, pensa-t-elle en elle-même, que nous ne l’avons fait depuis lors. Oh ! j’avais presque oublié, reprit-elle avec un sourire malin ; j’ai reçu une visite, vous vous rappelez, je vous en ai parlé, de ce freluquet d’officier, l’amant de mademoiselle de Villerai ; mais je lui ai fait un accueil plus chaud qu’il ne s’y attendait.

Le prêtre sourit, ce qu’il faisait rarement aux saillies méchantes de la veuve Lauzon, et pendant un instant elle se sentit légèrement confuse ; mais c’était un sujet favori sur lequel elle aimait beaucoup à broder, et profitant du tacite encouragement du curé, elle continua :

— Oui, quand il vint ici avec ses promesses flatteuses et ses paroles emmiellées, m’offrant je ne sais quoi si je voulais seulement lui dire où elle était allée, je lui répondis fièrement que j’étais une honnête femme et qu’il était dans une maison respectable, de sorte que ce n’était pas le lieu de chercher une personne comme elle. Ce n’est pas pour cinquante pièces d’or comme celle qu’il a mise dans la main du petit Jacques, et que le cher enfant courut cacher dans le grenier quand il vit le monsieur se fâcher, que j’aurais voulu le lui dire.

— Votre fermeté paraît tout à fait méritoire, reprit M. Lapointe en souriant légèrement, surtout si l’on oublie qu’à cette époque, vous ne saviez pas plus où Rose était que le jeune gentilhomme lui-même, qui essaya si audacieusement de vous corrompre pour apprendre le lieu de sa résidence.

— Ç’aurait été absolument la même chose, si je l’avais su, répondit madame Lauzon en rougissant. Je connais trop bien le caractère de Rose pour l’exposer à une chute presque