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LE MANOIR DE VILLERAI

Le moment et les dispositions lui étaient tous deux favorables, et avant que l’élégant major eût quitté la maison de mademoiselle de Nevers, il avait été accepté pour son fiancé, destiné à devenir son mari dans quelques semaines. Cependant, le cœur de Pauline n’avait jamais eu pour lui la moindre étincelle d’amour ni même d’estime.

Elle épousa le major Decoste, malgré les représentations et les conseils de son père et de sa tante, le suivit en France, et s’aperçut avant peu qu’elle avait pris, au lieu d’un mari, un tyran et un prodigue.

La lutte entre eux deux fut d’abord terrible, car le caractère de Pauline était violent et impérieux ; mais elle avait affaire à un homme sans cœur et sans honneur, et elle dut enfin céder après une longue et inutile résistance.

La mort de son père, arrivée peu de temps après son mariage, mit sa fortune entre les mains du major, qui la dépensa dans toute sorte d’excès. Le jeu, les débauches, le turf en eurent chacun leur part ; et quand les deux époux, réduits à l’indigence, eurent perdu leur position sociale élevée et se virent obligés de vivre dans un rang qui n’était pas le leur, il mourut, laissant une malheureuse veuve dénuée de tout, avec une santé délabrée, l’âme brisée par les chagrins, et ayant un noir avenir devant elle.

Cependant les prières ardentes que la bonne madame de Rochon n’avait cessé de faire pour sa nièce égarée, furent enfin entendues. Elle apprit un jour, par hasard, la mort du major Decoste, et aussitôt elle fit faire d’actives recherches sur la résidence de Pauline. L’ayant découverte, elle lui envoya de l’argent pour revenir en Canada, avec une lettre pleine de tendresse, lui offrant de la recevoir dans sa demeure. Remplie de reconnaissance, la pauvre femme, triste mais repentie, accepta volontiers la branche de salut que lui offrait la Providence ; et fatiguée du monde, elle vint partager les œuvres de charité et de bienveillance de sa pieuse tante. De cette manière, elle adoucit les derniers jours de sa bonne parente, qui avait été aussi heureuse de son retour, que le père de famille l’avait été de celui de l’enfant prodigue.