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LE MANOIR DE VILLERAI

Nevers une vivacité et une excitation nerveuse qui communiquait à ses yeux et à tout son visage une animation que madame de Rochon ne put d’abord comprendre ; mais le secret fut bientôt éclairci, car un instant après la nièce ajouta :

— Vous verrez, ma tante, que ce changement dans sa beauté va complètement anéantir l’amour déjà pas mal refroidi de de Montarville ; et alors… il sera libre !

— Et qu’est-ce que cela te fait, Pauline ?

— Oh ! mais alors d’autres auront une chance de l’avoir, répondit-elle avec une petite moue. Assurément, votre sévère morale ne trouve là rien à reprendre ?

— Eh bien ! d’après ce que j’ai entendu dire du capitaine de Montarville, je serais tentée de le juger tout différemment. Mais supposons un instant qu’il aurait l’âme assez basse pour abandonner une personne à qui il a été fiancé solennellement, à cause d’une maladie passagère qui a peut-être diminué sa beauté, sans rien changer à son noble cœur ni à sa belle âme, assurément il ne trouverait aucune fille bien née qui eût assez peu de dignité d’elle-même pour consentir à l’épouser.

— Oh ! ma tante, quelle absurdité ! dit brusquement mademoiselle de Nevers. Je vous dis qu’une demi-douzaine des plus jolies filles de Montréal se jetteraient à ses pieds si elles avaient l’espoir de recevoir le moindre encouragement.

— Et toi, Pauline, que ferais-tu ?

— Comme les autres, ma tante. Je deviendrais volontiers madame de Montarville, dès demain si je le pouvais.

— Mais que sont donc devenus les de Noraye, les Decoste, et tous les autres chevaliers avec qui tu as dansé, avec qui tu t’es promenée, amusée depuis douze mois ?

— Oh ! je les hais tous. Je suis fatiguée de ces insupportables-là. De Noraye, je l’épouserais bien, parce qu’il me sourirait assez d’être comtesse ; mais je le sens bien, je ne pourrai jamais le souffrir, et encore moins l’aimer. J’épouserais immédiatement de Montarville, quand même il serait pauvre, et je lui donnerais la moitié de ma fortune.

— Pauline, Pauline, tu poursuis de vaines ombres et des rêves fugitifs, ma pauvre enfant ! répondit Mme de Rochon avec un profond soupir. Ton cœur mondain et égaré ne