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LE MANOIR DE VILLERAI

heur, d’où elle sortirait bientôt pour trouver, par le contraste, sa position plus misérable et plus isolée ?

Nous ferons mieux pourtant de résister à la tentation. Le lecteur, s’il est amateur du positif et des choses pratiques, tournera dédaigneusement les pages ; tandis que s’il est sentimental et romanesque, il imaginera probablement une scène infiniment meilleure que celle que nous pourrions nous-même raconter.


XXIV


Madame de Rochon était un jour assise dans sa chambre favorite, celle où, en la compagnie de Rose, elle avait passé tant d’heures calmes et heureuses. Maintenant, elle pensait tristement au grand événement public, à la capitulation de sa ville natale. Puis elle s’étonnait que Rose ne vînt pas, se laissant aller à de nombreuses conjectures et souhaitant que mademoiselle de Villerai permît bientôt à sa protégée de revenir à la bonne vieille maison, si tranquille, si ennuyeuse depuis son départ.

Sa rêverie fut interrompue par l’arrivée de Pauline de Nevers, remplie d’une gaieté peu convenable dans les circonstances ; elle déroula, comme d’ordinaire, un certain nombre de phrases frivoles ; puis s’apercevant de la tristesse de sa parente et du silence qu’elle gardait, elle s’écria :

— De grâce, qu’y a-t-il donc, ma tante ? vous paraissez bien abattue et bien triste, ce matin.

— C’est que, ma chère Pauline, je ne possède pas ton heureuse élasticité de caractère, et je ne puis oublier si vite que mon pays vient justement de passer sous le joug d’un vainqueur étranger à notre langue et à notre religion.

— Oui, mais vous savez que le traité qu’on a fait les protège pleinement toutes deux ; par conséquent, que pouvez-vous attendre de plus ? Je ne suis qu’une femme, et je ne puis supporter l’ombre d’une discussion politique ; en outre, j’ai bien autre chose à penser maintenant. La plupart des officiers français vont retourner dans la mère patrie, ce qui va amener une crise dans bien des engage-