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LE MANOIR DE VILLERAI

n’avait jamais encore osé prendre depuis le temps qu’ils étaient engagés ; je vous crois, et ses yeux rencontrèrent les siens avec un regard ferme et profond dont il ne put toutefois comprendre l’expression. Oui, et de plus je vous estime à cause de votre loyauté, quoique certainement je ne me sois jamais attendue à autre chose de vous ; mais maintenant écoutez ma réponse. Nous serons l’un pour l’autre amis et confidents, frère et sœur, tout ce que vous voudrez, mais jamais mari et femme. Gustave, j’ai lu plus profondément que vous ne pensez dans votre cœur généreux ; j’ai compris ses luttes, ses souffrances et son noble dévouement. J’ai pénétré aussi les secrets d’un autre cœur, le plus noble qui ait jamais battu dans la poitrine d’une femme ; un cœur qui vous aime comme jamais femme n’a aimé ; plus, infiniment plus que je ne vous ai jamais aimé, ou que je ne pourrais jamais apprendre à vous aimer ; et qui, bien qu’inférieure à vous par la position et la richesse, peut seule, j’en suis convaincue, vous rendre heureux. Elle est, Gustave, l’épouse que je veux vous donner. Dois-je le dire ? Je parle de Rose Lauzon !

— Blanche ! ai-je bien entendu ? murmura-t-il, et sa joue devint tour à tour rouge et pâle à l’extrême, par les efforts qu’il faisait pour empêcher toute marque extérieure de la profonde émotion qui avait envahi son âme. Je ne sais que répondre… cette nouvelle si soudaine et si inattendue…

— Pour moi, elle n’est ni soudaine ni inattendue, reprit-elle doucement. Depuis ma dernière maladie, je me suis tranquillement résolue et préparée à faire la présente démarche, et chaque instant qui s’est écoulé depuis n’a fait que me confirmer dans la sagesse de ma décision. Aucune prière, aucune représentation de votre part ne me la fera modifier ; ainsi regardons-la comme une affaire faite et qu’il n’est plus en notre pouvoir de changer. Dites-moi maintenant, Gustave, comme vous le diriez à une sœur, car je veux désormais porter auprès de vous un titre aussi cher ; dites-moi, n’aimez-vous pas Rose Lauzon ?

De Montarville rougit aussi profondément qu’une jeune fille, et répondit à voix basse :

— Oui.

— Et de quelle époque date votre affection pour elle ?