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LE MANOIR DE VILLERAI

dame de Choiseul ne nous reproche de vous avoir retenu.

— Ne craignez rien sur ce point, répondit-il ; mais, beau temps mauvais temps, je partirai certainement cette après-midi.

La conversation n’avait pas encore repris sa première ardeur, interrompue par la question maladroite de madame Dumont, quand la servante, Fanchette, entra dans l’appartement pour annoncer que la petite Rose Lauzon désirait parler un instant à mademoiselle.

— Faites-la entrer, répliqua Blanche, tandis que Gustave, maudissant intérieurement cette nouvelle interruption, se jeta dans un fauteuil à peu de distance, et prit un livre, en songeant à ce que devait être cette petite paysanne canadienne.

Rose Lauzon entra, et Gustave, en la voyant, fut rempli d’étonnement et put à peine réprimer à temps l’expression d’admiration qu’il ressentit. Sa surprise était excusable, car la jeune fille qui se tenait devant lui, mise d’un mantelet de calicot à basques noires et de toile du pays, était aussi jolie que ce qui avait jamais pu frapper son regard. Rose Lauzon n’était ni aussi grande ni aussi blanche que mademoiselle de Villerai ; mais sa peau claire et transparente, à travers laquelle perçait une vive carnation, et les proportions exquises de sa fine, gracieuse et petite taille, ne laissaient aucune supériorité en attraits à la jeune seigneuresse. Elle possédait la main et le pied délicats qui sont communs chez la femme canadienne, même dans la basse classe ; et ses yeux bruns affectueux, ses longs cils, s’harmonisaient parfaitement avec ses cheveux noirs, si simplement mais si proprement retenus en arrière par la coiffure qu’elle portait. Tout cela en faisait une parfaite beauté que le négligé rendait encore plus charmante. Dans l’art comme dans la toilette même, la simplicité constitue la beauté. Le goût peut varier un peu suivant les personnes, les circonstances et les dispositions ; mais l’exagération est toujours un défaut. Il serait à souhaiter que les dames, jeunes et vieilles, se souvinssent un peu plus de cette vérité. Les bourses des papas seraient moins souvent invoquées, leur humeur serait plus longtemps égale ; il faudrait faire moins