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LE MANOIR DE VILLERAI

vivement avec naïveté, se voyant sur le point d’être interrompue, parce que nous sommes fiancés, il n’est nullement nécessaire que nous prenions l’un envers l’autre des manières exagérées et peu naturelles. Je vous dispense de ces flatteries quotidiennes et de ces compliments banaux, et, de votre part, vous serez aussi généreux et vous m’accorderez la même liberté.

Le jeune de Montarville, quelque peu décontenancé par ce langage ouvert et inattendu, se contenta de s’incliner en signe d’assentiment, et ajouta :

— Comme mademoiselle le désirera ; et il s’en alla vers la croisée, tenté de faire préparer sa carriole, et de braver la poudrerie et les montagnes de neige qui, pensait-il intérieurement, sont bien moins froides que ma belle fiancée.

Ce premier désir de Gustave ne se réalisa pas ce jour-là, et il resta encore toute une autre journée l’hôte volontaire du manoir. Blanche de Villerai avait été trop richement douée par la nature, pour être gagnée ou perdue à la légère ; et même dans ses moments de plus grande froideur, elle ne laissait pas que d’exciter l’admiration de son amant. Elle n’était pas, comme les jeunes filles de nos jours se piquent de l’être, très habile en musique vocale ou instrumentale ; mais sa plus grande ressource pour intéresser était dans sa riche intelligence ; et Gustave, écoutant sa conversation aisée et brillante, s’étonnait parfois que, dans le cours de quelques années, elle eût pu acquérir une aussi grande variété de connaissances.

C’était le troisième jour après son arrivée au manoir de Villerai, et, tandis que Blanche et lui étaient activement occupés à discuter un sujet intéressant, madame Dumont s’écria tout à coup :

— Dites-moi donc, Gustave, n’êtes-vous pas allé voir votre cousine, madame de Choiseul, depuis votre arrivée au Canada ?

Le jeune homme rougit ; et d’un ton fort embarrassé, il répondit négativement, ajoutant qu’il était venu directement de Montréal, et que les chemins étaient réellement si impraticables…

— Il n’y a pas deux lieues d’ici là, reprit mademoiselle de Villerai, avec un léger sourire ; et je crains que ma-