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LE MANOIR DE VILLERAI

répondit-elle franchement. Je veux vous délivrer du trouble et des anxiétés que ma malheureuse présence a introduits sous votre paisible demeure.

— Et où voulez-vous aller, mon enfant ? Que voulez-vous faire ?

— Peut-être que par votre influence je pourrais obtenir une humble situation comme bonne ou gouvernante ; mais, hélas ! ajouta-t-elle avec amertune, qui voudra me prendre maintenant ? Mon nom seul suffira pour me fermer toutes les portes. Non cette chance m’est enlevée ; mais je pourrai faire des ouvrages d’aiguille ou me procurer un emploi honnête, quelque humble qu’il soit.

— Non, ma pauvre enfant, cela ne vous conviendrait nullement. Une telle démarche vous exposerait à des épreuves et à des tentations que vous ne soupçonnez même pas. Non, vous allez continuer à rester avec moi, et, quelle qu’ait été votre conduite passée, que votre vie future soit exempte même de l’ombre d’un blâme. Et maintenant, n’avez-vous rien à me demander, continua-t-elle, voyant que sa compagne avait essayé deux ou trois fois de parler. Ne craignez rien. Rose, soyez franche avec moi.

Rose, ainsi encouragée, demanda timidement si les dames avaient donné quelques explications touchant l’événement qu’elles lui avaient si amèrement reproché, événement dont elle ne savait encore absolument rien.

— Tout ce que j’en sais, Rose, c’est que de Noraye, comme un lâche, vous a calomniée, et de Montarville a pris votre part. Des mots vifs s’en suivirent, et le résultat fut la rencontre de ce matin. Mais reprenons nos occupations ordinaires, mon enfant. Nous avons tristement gaspillé la dernière heure.

Madame de Rochon sortit pour remplir quelque devoir domestique, heureuse que les désagréables discussions de la journée fussent enfin finies.

— Il a donc exposé sa vie pour moi ! dit Rose. Oh ! de Montarville, y eut-il jamais un amour aussi noble et aussi dévoué que le tien ! Et pensant à ce nouveau trait de la généreuse affection de son amant, Rose continua machinalement son ouvrage, le cœur et l’esprit plongés dans une profonde mais pénible rêverie.