Page:Leprohon - Le manoir de Villerai, 1925.djvu/156

Cette page a été validée par deux contributeurs.
159
LE MANOIR DE VILLERAI

— Vous ne le pouvez pas, ma tante, vous ne le pouvez pas, reprit-elle impérieusement. Ainsi je sors aujourd’hui de votre maison pour n’y rentrer que quand cette fille infâme, qui paraît vous avoir ensorcelée, l’aura quittée ou en aura été chassée !

— Eh bien ! qu’il en soit ainsi, Pauline, répondit tristement madame de Rochon. Cette décision est la tienne et non pas la mienne. Tu as un père, une maison, des richesses, une position sociale, pour te protéger, et tu peux facilement te passer de moi. Elle n’a aucun de ces avantages, et, par conséquent, elle a plus besoin de moi.

Froide et hautaine, la jeune fille inclina légèrement la tête, et sortit à la suite de madame Dumont, laissant leur hôtesse avec la tristesse et l’anxiété dans le cœur.

— Puisse Dieu me diriger dans le droit chemin ! murmura-t-elle. Assurément j’ai rempli mon devoir, et pourtant je ne me sens rien moins qu’heureuse. Oh ! si ma pauvre sœur avait vécu pour veiller sur cette enfant légère et irréfléchie, combien d’heures pénibles m’auraient été épargnées. Et Rose peut-elle être réellement cette personne artificieuse et ingrate que madame Dumont m’a décrite ? Ce front noble et ouvert comme celui d’un enfant, ces yeux brillants et limpides cachent-ils une profonde hypocrisie et une honteuse fourberie ? Hélas ! le récit de madame Dumont paraît assez plausible, et a été malheureusement corroboré par le silence et la confusion de Rose. Quelle que soit sa culpabilité, les accusations de Pauline sont certainement très peu charitables et très peu chrétiennes ; et de plus très injustes, car, si Rose a réellement essayé d’arracher de Montarville à sa fiancée, elle n’a fait que ce que Pauline et la moitié de ses jeunes amies se sont efforcées de faire depuis six mois. Mais il faut que je cause un peu avec Rose elle-même.

Elle appela Marie et lui dit de faire descendre Rose immédiatement. Celle-ci arriva bientôt, avec une démarche lente et affaissée et un regard triste et abattu.

— Rose, dit doucement mais gravement madame de Rochon, maintenant que nous sommes seules, qu’avez-vous à me dire ?

— Rien, sinon qu’il faut que je vous quitte de suite,