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LE MANOIR DE VILLERAI

protection, je devins responsable devant Dieu de sa destinée, autant que cela dépendrait de moi. Par conséquent, fût-elle aussi indigne, aussi coupable que vous voudriez me le faire croire, ce serait mon devoir de m’efforcer de la faire revenir à de meilleurs sentiments. À combien plus forte raison, donc, je suis tenue de la protéger si elle est réellement innocente, si elle est poursuivie, recherchée malgré sa volonté par ces vains et légers hommes du monde. Pauline, toi qui as été si bien élevée, et vous, madame Dumont, qui unissez l’expérience de l’âme à la connaissance du cœur humain, voudriez-vous me voir chasser de ma maison cette jeune fille sans expérience, qui, avec cette dangereuse beauté dont elle a été douée, ne tarderait pas à devenir la victime de la médisance et à être recherchée par les libertins ? Ah ! non, assurément, ce n’est pas là mon devoir ; et même au risque d’offenser des personnes auxquelles je voudrais toujours plaire, je dois déclarer ma ferme intention de continuer à protéger, à garder l’enfant orpheline que j’ai prise sous mes soins.

Madame Dumont, malgré elle, se sentit émue par la touchante simplicité de cet appel ; et quoique en saluant madame de Rochon, elle fût froide et cérémonieuse, quelque chose lui disait intérieurement que, quand les derniers sentiments de colère se seraient éteints, elle ne pourrait s’empêcher d’être reconnaissante à celle-ci de s’être laissée conduire par les seules impulsions de son bon cœur.

Mais il n’en fut pas de même de Pauline. Son cœur était plus dur, et aussi elle cachait dans les plus profonds replis de son âme des pensées et des sentiments inconnus à la paisible madame Dumont.

— Ainsi, ma tante, s’écria-t-elle froidement en se levant pour partir, vous préférez votre protégée à moi, cette artificieuse mendiante que le hasard a fait connaître à votre charité, à l’enfant unique de votre sœur défunte ! Bien, je souhaite seulement que vous n’ayez jamais occasion de regretter votre choix.

— Mais, Pauline, mon enfant, s’écria tendrement madame de Rochon, tu m’es aussi chère, et tu le seras autant que tu l’as toujours été ; mais, assurément, je puis continuer à t’aimer sans l’abandonner.