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LE MANOIR DE VILLERAI

probable, quand j’ai d’abord vu dans votre salon cette jolie mais hypocrite figure ?

— Ceci est affreux ! murmura madame de Rochon, tu as dit que l’un des combattants avait été blessé ? L’a-t-il été sérieusement ?

— Non, quoique sa témérité à la Don Quichotte l’eût bien mérité. La balle n’a fait que lui effleurer légèrement l’épaule, en faisant couler un peu le sang ; tandis que son adversaire a échappé tout à fait sain et sauf. Mais il aurait pu en être autrement ; l’un ou tous deux auraient pu être mortellement blessés. Il est bien ridicule de penser que la vie d’un comte de Noraye et d’un capitaine de Montarville a été exposée pour elle ! et elle jeta sur son humble rivale un regard de mépris où perçaient la vengeance et la jalousie.

— Rose, n’avez-vous rien à dire pour répondre aux reproches que l’on vous fait ? demanda madame de Rochon, dont la physionomie et la voix montraient autant d’inquiétude que de détresse.

— Que puis-je dire ? répondit Rose. Je ne sais rien du fait que mademoiselle de Nevers vient de raconter ; je ne sais pas même ce dont elle m’accuse.

— Je vais vous le dire alors, ma fille, ce que vous avez fait, interrompit sévèrement madame Dumont. En retour de la bonté que ma nièce et moi avons eue pour vous depuis votre enfance, et de la protection que nous vous avons toujours accordée, en retour de l’éducation supérieure que nous vous avons procurée, de la bienveillance avec laquelle nous avons fait du manoir votre seconde demeure, vous avez artificieusement enlevé, ou plutôt essayé d’enlever à ma nièce Blanche les affections de son futur époux, à qui elle a été fiancée dès le berceau. Sans vous les désirs les plus chers de ma vieillesse auraient été accomplis, et Blanche serait aujourd’hui la femme bien-aimée du capitaine de Montarville. Arrêtez ! Je sais que vous voulez répondre insolemment que c’est mademoiselle de Villerai elle-même qui a remis son mariage. Mais pourquoi ? Parce que, grâce à vos sourdes intrigues, à vos honteux artifices, vous avez jeté entre eux de la froideur et de la désunion ; et ma nièce, aussi noble de cœur que de naissance, n’a pas voulu s’abaisser à épouser un homme qui osât, même un instant, partager ses