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LE MANOIR DE VILLERAI

l’approche de mademoiselle de Nevers, qui s’avançait majestueusement de leur côté sur le pavé rude et inégal de la rue, avec autant de grâce que le cygne qui glisse sur son élément favori.

— Ah ! voici venir un de vos cœurs brisés, de Noraye, s’écria un autre lion, le major Decoste, en frisant son énorme moustache aussi noire que l’aile du corbeau. Malgré la maladie dont se trouve affecté un organe aussi vital, elle paraît excessivement bien.

— Vous changez peut-être la question, Decoste, fit un autre. Ce n’est pas de Noraye qui brise le cœur de la brillante demoiselle Pauline, c’est peut-être elle au contraire qui s’empare peu à peu du sien. Il me semble qu’il est bien pâle et bien sérieux depuis quelques jours.

— C’est le remords, mon cher, dit le vicomte, c’est le remords d’avoir fait tant de conquêtes et de ne pas en avoir laissé seulement la moitié d’une pour un pauvre infortuné comme vous.

— Silence ! la voici qui arrive, s’écria le major Decoste. Diantre ! elle est excessivement bien mise.

— Et elle a le port d’une duchesse ! continua le jeune Duplessis.

— Oui, mais qui pourrait supporter un regard aussi fier et aussi hardi que le sien ? demanda un troisième. Quoi ! elle est capable de faire baisser les yeux à tout notre régiment.

— Oui, vous êtes tous des jeunes gens si timides et si modestes, dit de Noraye en ricanant. Chacun sait que le régiment de Lasalle est renommé dans tout le service militaire pour son excessive timidité. Mais qui va aller rejoindre la belle demoiselle de Nevers ? Elle s’attend, comme de raison, à ce que l’un d’entre nous aille lui faire escorte.

— Mais pourquoi n’y allez-vous pas vous-même, irrésistible vicomte ? demanda son plus proche voisin.

— Oh ! parce que ce n’est pas mon tour à monter la garde. J’ai été de devoir toute l’après-midi, hier, et j’en suis encore tout fatigué. Toute une après-midi passée à faire l’amour et des compliments, c’est passablement assommant pour le système. Ah ! la voici. Présentez armes ! salut !

Comme Pauline passait devant le groupe, tous les cha-