Page:Leprohon - Le manoir de Villerai, 1925.djvu/143

Cette page a été validée par deux contributeurs.
146
LE MANOIR DE VILLERAI

gance, ainsi donc, demain nous allons dire adieu à cet agréable petit Montréal, avec ses rues étroites et ses jolies femmes, et nous embarquer pour Québec. Il faut supposer que comme ses rues sont encore plus étroites, ses femmes sont aussi dans la même proportion plus jolies et plus aimables que leurs rivales montréalaises.

— Pour ma part, dit le vicomte de Noraye, je suis tout à fait charmé de pouvoir m’esquiver ; car réellement je me trouve engagé dans un si grand nombre d’amourettes, que si je n’avais cette excuse pour partir, il ne me resterait réellement pas d’autre alternative que de me brûler la cervelle, ou de briser les cœurs d’une douzaine de jolies filles.

Cette saillie causa un joyeux éclat de rire au milieu du groupe, lorsqu’un officier à la figure martiale, à la taille gigantesque, portant le brillant uniforme des chasseurs, reprit :

— Oh ! pourvu que vous leur léguiez auparavant votre titre et vos terres en Normandie, je pense que vous pourriez fort bien vous passer une balle au travers de la tête, sans briser le moins du monde les cœurs en question.

— Est-ce là réellement votre opinion, de Cournoyer ? demanda le vicomte d’un ton nonchalant. Bien, je ne m’en étonne pas ; car probablement votre propre expérience sur la dureté du cœur des femmes a dû beaucoup influencer votre décision ; mais, souvenez-vous, mon cher ami, que quoique les dames ne meurent pas souvent de désespoir pour un massif Hercule de six pieds comme vous, elles sont infiniment plus sensibles quand il s’agit d’un Apollon ou d’un Endymion.

Un nouvel éclat de rire parcourut le groupe, tandis que de Cournoyer reprenait en souriant avec bonne humeur :

— Je pense que vous avez raison, car mon fort a toujours été beaucoup plus de briser les têtes des hommes que le cœur des femmes !

— Ho ! de Noraye, pique encore ! s’écria le jeune lieutenant Duperré.

Quelle que fût la réponse que méditait le vicomte, et qui devait être souverainement impertinente, à en juger par la courbe éminemment sarcastique de ses lèvres, elle fut prévenue par une légère sensation que causa dans le groupe