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LE MANOIR DE VILLERAI

vous ai cherchée pendant des mois, au point que j’avais presque perdu tout espoir de vous revoir.

— Et pourquoi désirez-vous qu’il en soit autrement ? demanda-t-elle d’une voix agitée. Qu’est-ce que Rose Lauzon peut jamais avoir de commun avec vous, capitaine de Montarville ?

— Ah ! vous êtes encore Rose Lauzon ! dit-il vivement. Dieu merci au moins pour cela.

— Ne vous ai-je pas dit, reprit-elle avec un certain air de reproche, que je ne changerais jamais ce nom ?

— Oh ! oui, Rose, s’écria-t-il avec impétuosité en saisissant sa petite main et la pressant dans la sienne. Vous l’échangerez contre le mien, contre celui de Montarville. Je vous dis qu’il est impossible d’en vouloir autrement ! J’ai fait tout en mon pouvoir pour vous oublier. J’ai cherché au milieu des occupations actives et nombreuses, au milieu des plaisirs, de bannir votre image de ce cœur sur lequel vous refusez si obstinément de régner ; et maintenant que vous voilà devant mol, je sens que vous y êtes plus fermement établie que jamais.

— Et votre fiancée ? vos promesses à mademoiselle de Villerai ?

— Je vous répéterai ce que je vous ai déjà dit, Blanche de Villerai ne m’aime pas. Si elle m’aimait, aurait-elle encore reculé notre mariage d’une année, quand il avait été fixé à ma prochaine promotion ?

— Et si elle l’a fait, M. de Montarville, à qui la faute ? Elle a dû remarquer de la froideur, du changement chez vous ; elle a dû entendre des propos indiscrets (oh ! comme ma joue brûle à cette pensée) touchant votre passion pour une inférieure, une créature de son ancienne bonté. Pensez-vous qu’une noble jeune dame comme mademoiselle de Villerai, qui peut choisir son époux parmi les plus nobles de ce pays, voudrait s’imposer à un fiancé froid et indifférent ?

— C’est inutile, Rose, c’est inutile ! murmura-t-il. Je sens la vérité de tout ce que vous dites, je respecte, j’estime mademoiselle de Villerai, mais je n’aime que vous, que vous seule. Ah ! la fermeté avec laquelle vous, ordinairement si douce, résistez à toutes mes raisons ; la noble générosité avec laquelle vous mettez de côté toute pensée d’intérêt