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LE MANOIR DE VILLERAI

— Elle n’est pas ma servante, Pauline, mais ma compagne, quoique elle soit de naissance obscure ; et quant à sa beauté, elle est ce que la Providence l’a faite. Vraiment, ma nièce, tu es trop sévère, trop soupçonneuse.

— Et vous, ma tante, vous êtes trop faible et trop indulgente. Oh ! vraiment, je perds toute patience avec vous ! Est-ce que la rougeur et l’embarras de cette fille, son refus insolent de répondre à la simple question que je lui posais, ne vous ont pas fait ouvrir les yeux à la vérité ?

— J’ai encore à apprendre, mon enfant, que la confusion accompagne toujours le crime. Pour ma part, je trouve qu’elle est très souvent une preuve d’innocence.

— Puisse-t-il en être ainsi, ma tante. Entretenez vos propres opinions aussi fermement que vous voudrez, jusqu’à ce qu’une preuve nouvelle et plus frappante de la duplicité de votre protégée vous oblige de reconnaître enfin la vérité de mes représentations et l’aveuglement de votre faiblesse et de votre incrédulité.

— Ma bonne nièce Pauline, tu commences à devenir trop animée dans la discussion ; mais je t’excuserai, en pensant charitablement que ton ardeur vient entièrement de l’intérêt que tu me portes, et non de ta haine pour Rose Lauzon. Mais laissons là ce sujet pour le présent, et prenons-en un plus gai… Comment est ton pauvre père, ce matin ?

— Appelez-vous cela un sujet plus gai ? demanda la jeune fille avec une certaine irritation. C’est justement le plus désagréable que vous puissiez choisir. Papa, avec un égoïsme et une obstination incroyables, persiste à me refuser sa permission de donner un grand bal ou un dîner, avant que les officiers du Roussillon ne partent pour Québec.

-— Mais ce n’est pas répondre à ma question, Pauline ; comment est réellement ton père ?

— Oh ! comme de raison, il souffre toujours de son rhumatisme ; mais ce n’est rien de nouveau. Ce n’est pas une excuse, certainement, pour se refuser à ma juste demande. Il pourrait s’asseoir dans son fauteuil, bien enveloppé.

— Pauline ! Pauline ! interrompit gravement sa compagne ; tu n’as jamais dû sentir par expérience ce que c’est qu’une douleur réelle, autrement tu ne parlerais pas ainsi. Comment ton pauvre père, brisé par les souffrances, pourrait-il reposer