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LE MANOIR DE VILLERAI

Le profond intérêt que portait madame de Rochon à la jeune fille se comprendra facilement quand on saura que C’était la plus proche parente qu’elle possédait au monde. Enfant unique d’une sœur décédée, mariée avec un riche gentilhomme de la colonie, la petite fille avait été privée des soins de sa mère dès l’âge de quatre ans. Vainement madame de Rochon avait plusieurs fois demandé au père de lui confier l’enfant. Il avait toujours refusé, prétendant que sa belle-sœur était trop sévère dans ses idées religieuses, et qu’elle rendrait l’enfant plutôt propre à entrer dans un couvent qu’à conduire une maison. On a vu quels résultats il avait obtenus. L’enfant grandit, vaine, égoïste et frivole, indifférente envers son père, ne vivant que pour elle-même, ne pensant qu’à elle-même. Cependant, madame de Rochon, comme un bon ange, veillait toujours sur elle, supportant ses propos insensés, ses impertinences, afin d’avoir l’occasion de lui souffler à l’oreille quelque bonne parole, quelque grande mais sérieuse vérité. Assurément, de cette manière, elle fit plus pour la gloire de son Maître, que si elle avait éloigné de son cœur cette enfant du monde bien vaine, mais peut-être pas encore complètement perdue.


XVII


L’existence de Rose Lauzon sous le toit hospitalier de madame de Rochon était donc calme et heureuse ; et chaque jour, à chaque instant, pleine de reconnaissance, elle comparait son genre de vie actuel, si doux et si tranquille, avec les labeurs incessants et les misères sans nombre qui l’avaient accablée dans son ancienne demeure. Sa gratitude et son affection pour sa bonne bienfaitrice étaient sans bornes ; tandis que madame de Rochon sentait que le sentiment de simple bienveillance qu’elle avait d’abord éprouvé pour sa jeune compagne, se changeait peu à peu en un amour presque maternel.

Le seul contretemps qu’éprouvait Rose au milieu de son bonheur, était l’indifférence pleine de mépris avec laquelle mademoiselle de Nevers affectait invariablement de la traiter, ne lui accordant jamais même un salut, un