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LE MANOIR DE VILLERAI

— Mais es-tu certaine, petite, qu’il viendra aujourd’hui ? Le temps est devenu extraordinairement orageux ; et ce motif, ainsi que les chemins qui doivent être très pleins, car il poudre horriblement, pourra peut-être l’obliger de remettre sa visite.

Les lèvres légèrement serrées, la nièce reprit fièrement :

— Il m’a écrit, ma tante, qu’il serait ici aujourd’hui ; il faut donc qu’il soit ici aujourd’hui.

— Mon Dieu ! Blanche, s’écria la plus vieille dame en ôtant ses lunettes et en les replaçant aussitôt, tu es excessivement exigeante. Tu sais que notre bon curé t’a souvent fait entendre, d’une manière indirecte, qu’une demoiselle si sensible, si pieuse et si aimable que toi, ne devait pas succomber à des faiblesses, pour ne pas dire à des péchés d’orgueil comme ceux-là.

— Eh bien ! chère tante, répondit-elle moitié souriante, moitié indifférente, puisque je suis comme vous et M. le curé le dites, sensible, dévote et aimable, si je n’avais quelques défauts, je serais parfaite ; et l’on sait que la perfection n’a pas été donnée aux mortels.

La vieille horloge tinta ici bruyamment quatre heures, et un nuage encore plus sombre se répandit sur la physionomie de Blanche de Villerai, comme elle se tournait entièrement vers la croisée en appuyant sa tête dessus. La scène au dehors devenait de plus en plus orageuse, désolante, froide et triste. En plusieurs endroits, les clôtures et les inégalités du terrain avaient entièrement disparu sous les bancs de neige, ou, comme de petites pointes noires répandues sur une mer blanche et tourbillonnante, montraient çà et là leurs têtes. La longue barrière avait assumé la dignité d’une muraille de marbre de hauteur et de largeur raisonnables, à laquelle des sapins de courte taille, répandus sur l’un et l’autre côté, servaient comme de bastions. Le crépuscule augmentait peu à peu l’obscurité ; mais la neige silencieuse continuait toujours à tomber aussi doucement, aussi activement qu’auparavant.

— Blanche chérie, dit enfin madame Dumont, quitte donc cette solitaire croisée, et viens t’asseoir à côté de moi. Gustave est ou arrêté par l’orage dans quelque maison, ou bien il est resté dans ses quartiers à Montréal. Lis-moi à