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LE MANOIR DE VILLERAI

riant ; mais avoue-moi franchement, est-ce que tu ne rencontres jamais dans la joyeuse vie que tu mènes, des contrariétés et des désappointements qui t’attristent autant même que mes sermons peuvent le faire ?

— Sans doute, très souvent, fit-elle vivement. Ainsi maintenant, par exemple, je me trouve, au moins pour la cinquantième fois, absolument en désespoir d’amour.

— Pauline ! Pauline ! s’écria madame de Rochon avec un air de reproche et regardant en même temps Rose, qui dès l’arrivée de la jeune dame s’était mise à broder activement un collet. Elle était, dans le moment, courbée sur son ouvrage, la figure plus colorée que d’ordinaire ; elle avait probablement trouvé dans les vaporeuses paroles de la jeune fille mondaine, quelque chose qui avait touché une corde secrète de son cœur.

Pauline de Nevers fit un dédaigneux signe de tête, faisant comprendre par là que celle qu’on indiquait lui était entièrement étrangère, et elle continua sur le même ton :

— Oui, vraiment, ma tante, je vous dis la pure vérité. Vous savez que je ne deviens jamais amoureuse, excepté dans des cas absolument désespérés et où je ne saurais rencontrer une affection mutuelle. Je suis dans des dispositions tout à fait malheureuses ; aussitôt que je vois mon attachement éprouvé également par celui qui en est l’objet, de suite mon amour s’évanouit en fumée. Tenez, par exemple, il y avait ce joli garçon, le jeune d’Albert, qui était pauvre, mais aussi beau qu’Adonis. Bien, vous savez que j’ai été tellement engouée de lui, que papa avait presque oublié ses rhumatismes dans la crainte de me voir enlever. Mais à l’instant où ce malheureux jeune homme commença à me faire la cour, à m’envoyer des bouquets, mon affection se changea en indifférence ; et enfin, quand il me demanda en mariage, je commençais à le haïr.

— Eh bien ! alors, Pauline, espérons que son rival actuel te guérira de la bonne manière.

— Oh ! il n’y a pas de danger ! fit avec un soupir la vaine jeune fille, et en prenant un air pensif, presque mélancolique. Il est non seulement très indifférent envers les femmes, mais il ne veut pas même les courtiser. Il est de plus fiancé à une autre.