Page:Leprohon - Le manoir de Villerai, 1925.djvu/112

Cette page a été validée par deux contributeurs.
115
LE MANOIR DE VILLERAI

Soit que madame Lauzon soupçonnât l’ironie cachée sous l’apparence amicale des paroles du bon prêtre, ou que les consolations qu’il tâchait de lui donner irritassent sa colère au lieu de l’apaiser, elle reprit avec un regard trahissant une tempête intérieure.

— Cela peut être, monsieur ; mais quelque méchante qu’elle soit, il est cependant de mon devoir de veiller sur elle, et de voir à ce qu’il ne lui arrive aucun mal. Puis-je donc vous demander respectueusement si vous savez où elle est à présent ?

— Certainement, ma bonne femme, cette sollicitude de votre part est très louable, si vous y êtes poussée par de bons motifs. Elle est actuellement sous mon propre toit ; et tant qu’elle y sera ; je réponds de sa bonne conduite.

Madame Lauzon pâlit d’abord, puis rougit ; mais par un effort suprême, elle reprit avec calme :

— Alors, monsieur le curé, vous allez sans doute lui ordonner de revenir immédiatement à la maison avec moi, et de s’efforcer de réparer, par sa soumission et son obéissance, son opiniâtreté et ses caprices passés.

Le prêtre tira lentement sa tabatière d’écaille de tortue, se régala solennellement d’une prise, puis répondit avec une grande tranquillité :

— Eh bien, non, madame Lauzon, je ne le lui dirai pas.

— Comment monsieur ? et sa voix devint aussi perçante qu’une trompette de bataille ; est-il possible que vous l’encouragiez dans une révolte coupable contre ma juste autorité ? est-il possible que vous qui prêchez du haut de la chaire, presque à chaque troisième ou quatrième dimanche, sur l’importance sacrée du commandement qui dit :

« Père et mère tu honoreras,
Afin de vivre longuement, »

est-il possible que vous donniez raison, contre sa mère, à une fille de dix-huit ans ingrate et emportée ?

Soit que M. Lapointe sentît que son adversaire l’avait ici cruellement blessé, ou que sa patience commençât à se lasser, il reprit avec sévérité :

— Oui, femme arbitraire, et vous m’avez aussi entendu prêcher bien souvent sur les devoirs qu’ont à remplir les parents envers leurs enfants, devoirs sacrés que cette