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LE MANOIR DE VILLERAI

sujet pourrait occuper les pensées d’une jeune fille à la veille de revoir son fiancé après une absence de plusieurs années ? Mais te souviens-tu bien de lui, petite ? Tu n’étais qu’une enfant quand il partit pour la France, il y a six ans.

— Oui, chère tante, je me le rappelle comme il était alors ; mais il a sans doute beaucoup changé depuis.

— Oui, autant que toi-même, ma chère. Qui reconnaîtrait dans l’élégante jeune dame que j’ai devant moi, la pâle et timide enfant en costume de pensionnaire, qui faisait un adieu si indifférent et si guindé à un jeune garçon, son fiancé, dans cette même salle. Tu ne paraissais pas beaucoup t’occuper de lui alors, Blanche.

— Oh ! je l’aimais assez ; pas autant, pourtant, que ma bonne maîtresse, sœur Ste-Marie, ni quelques autres de mes jeunes compagnes ; mais aussi nous nous voyions si peu, alors.

— C’est vrai, c’est vrai, et tu étais toujours une petite fille si distante, si intraitable. Il faut espérer que tes sentiments envers lui acquerront bientôt un caractère plus amical.

— Je ne sais, ma tante. Cela dépend tout à fait de lui ; et, en parlant ainsi, son ton et son regard devinrent plus sérieux.

— Voyons donc, enfant ! reprit la tante quelque peu piquée. Si tu ne l’aimes pas, tu n’as pas d’autre chose à faire que d’apprendre à l’aimer. C’est l’époux que t’a choisi ton tendre père, quand tu n’étais encore, je puis le dire, qu’au berceau ; c’est le mari que désirait pour toi ta chère et bonne mère, qui, en te confiant à mes soins sur son lit de mort, me chargea solennellement de voir à ce que cet engagement sacré fût rempli. Sur un tel sujet, sans doute, il n’est pas une jeune dame bien élevée qui veuille faire sa propre volonté. Ses parents choisissent, c’est leur devoir ; le sien est d’obéir.

Blanche de Villerai ne répondit pas immédiatement ; mais la contraction involontaire de ses sourcils noirs exprima plus clairement que des paroles, qu’elle n’aimait pas beaucoup la doctrine arbitraire et exclusive de madame Dumont sur l’obéissance filiale. Il y eut une pause, puis la vieille dame reprit doucement :