Page:Leprohon - Le manoir de Villerai, 1925.djvu/109

Cette page a été validée par deux contributeurs.
112
LE MANOIR DE VILLERAI

et les pauvres habillements que vous me donnez ? Pensez-vous que j’aurais supporté ce que j’ai supporté, et demeuré même une seule année ici, si ce n’eût été pour mon pauvre et malheureux père, dont le bonheur m’était encore plus cher que le mien propre. Oh ! non, et maintenant que ma tâche fatigante est achevée, je m’en vais sans l’ombre d’un regret, et bien plus, joyeuse autant que vous devez l’être vous-même de ce que le fardeau de mon entretien, dont vous vous plaignez tant, ne pèsera plus désormais sur vous.

Madame Lauzon demeura silencieuse pendant quelque temps ; la rage et les regrets lui avaient presque coupé la parole ; mais en voyant sa belle-fille rattacher son châle, elle lui dit, pleine de colère :

— Mais tu ne partiras pas ainsi, ingrate enfant ! Mon respect pour ton défunt père m’ordonne de veiller sur toi et de te protéger contre la misère ou les disgrâces que tu te prépares à rencontrer.

— Je sais bien, madame Lauzon, et vous devez aussi le savoir, que partout où j’offrirai les services que j’ai rendus ici, ils me feront toujours obtenir au moins autant que j’ai reçu de vous. Je n’ai donc aucune crainte sur ce point, et maintenant laissez-moi aller sans plus de discussion.

— Quoi ! ai-je bien entendu ? demanda madame Lauzon avec un dédain emphatique. Ainsi, la délicate Rose, avec sa jolie figure et toute son instruction, elle qui était la compagne et même la rivale de la seigneuresse de Villerai, va aller s’engager comme servante, à tant par mois ! C’est là certainement un rude coup à ta vanité ; mais tu ne m’as pas dit où tu allais, continua-t-elle, remarquant que sa belle-fille avait fini d’attacher son chapeau. Tu répondras au moins à cette question ?

— N’importe où, n’importe où, dit Rose en soupirant ; pourvu que je sois en paix. Et murmurant un mot d’adieu, elle passa pour toujours le seuil de cette maison dans laquelle, comme elle venait de la dire elle-même, tant d’années de sa jeunesse avaient été sacrifiées.

La triste jeune fille n’hésita pas longtemps avant de savoir où elle dirigerait ses pas. Le vénérable ami qu’elle avait toujours été trouver dans ses moments d’épreuve, qui seul avait connaissance du secret qui avait causé tant