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LE MANOIR DE VILLERAI

la patiente jeune nourrice avait endormi avant de laisser la maison. La jeune fille ne fit aucune réponse, mais d’un air de suprême lassitude et presque d’indifférence, elle s’en alla se débarrasser de son chapeau et de son châle.

Cette manière d’agir de la jeune fille exaspéra souverainement madame Lauzon, qui, frappant violemment du pied, s’écria de sa voix la plus aigre et la plus perçante :

— Reviens ici de suite, insolente enfant, et réponds-moi.

Rose revint et se plaça, sans rien dire, devant son tyran.

— Combien de temps ce jeu-là va-t-il durer ? demanda furieusement la belle-mère. Penses-tu que je vais te garder ici dans ma maison, à manger le pain de mes enfants, sans que tu ne fasses rien pour le gagner ? Penses-tu que je vais être la servante et toi la maîtresse, la grande dame ?

Rose garda encore le silence ; mais la profonde pâleur qui avait d’abord couvert sa figure se changea subitement en une vive rougeur.

— Qui es-tu, toi, continua la marâtre, pour prendre de tels airs ? Une créature inutile que personne maintenant ne penserait à prendre pour femme. Tu n’as pas eu une seule demande, depuis tes ridicules avances à ce jeune fat d’amoureux de mademoiselle de Villerai. Chassée honteusement du manoir, abandonnée par tes anciens amants, évitée par les autres jeunes filles respectables du village, il te convient bien, réellement, de prendre des airs pareils !… Pourquoi restes-tu ainsi à me regarder avec tant d’insolence et de malice ? Va à ton ouvrage de suite, si tu n’as pas de meilleure réponse à me donner.

— Oui ! madame Lauzon, reprit Rose d’une voix ferme dont les premiers accents causèrent une vive surprise à sa compagne, tant ils étaient différents de son ton ordinairement humble et timide ; oui, j’ai une réponse ; mais je n’en ai qu’une à vous faire à tout ce que vous venez de me dire, à toutes les injustices, à toutes les cruautés dont vous m’avez abreuvée depuis que vous êtes venue sous ce toit, il y a sept ans, comme la femme de mon père. La voici : c’est que je vais sortir avec joie de votre maison, aujourd’hui, à l’instant même, pour n’y jamais rentrer, pour ne jamais me retrouver, même pendant une heure, sous le même toit que vous.

Rose eût subitement présenté un pistolet au visage de