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LE MANOIR DE VILLERAI

dangereux. Mais qu’est-ce que cela te fait, à toi ? continua-t-elle en apostrophant dédaigneusement Rose ; je suppose que s’ils étaient tous morts, tu serais bien plus satisfaite que triste.

— Silence, Sophie ! s’écria tout à coup le malade, d’une voix qui, quoique basse et faible, avait cependant le ton de l’autorité.

Madame Lauzon, étonnée, jeta un regard de surprise sur son mari, car elle n’était pas habituée à entendre chez lui la voix du commandement ; mais revenant bientôt, elle reprit avec un peu moins d’acrimonie qu’auparavant :

— Assurément, Lauzon, j’ai le droit de parler ; si votre méchante fille, Rose, met mes enfants hors de ma propre maison, je puis au moins demander où ils sont. Va chercher immédiatement les deux plus jeunes, et n’ose jamais dorénavant prendre une telle liberté.

Avec un violent effort, le malade secoua pour un moment l’engourdissement indéfinissable qui s’emparait de lui de plus en plus, et il dit de la même manière qu’il s’était exprimé d’abord :

— Rose ne me quittera pas tant qu’il me restera un souffle de vie ; et toi, Sophie, éloigne-toi, sinon reste tranquille. Si tu ne m’as pas permis de vivre tranquille, au moins, laisse-moi mourir en paix.

La figure de madame Lauzon devint un peu plus pâle, et elle s’écria vivement :

— Joseph, ce n’est qu’une faiblesse, et cela t’alarme ; essaye de prendre une goutte de bouillon. Mais il se contenta de secouer la tête, et retomba dans son premier état, silencieux et rêveur.

Cette femme, cette virago, une fois convaincue que son mari allait bientôt quitter la terre, l’accabla de soins et d’attention, elle arrangea ses oreillers, humecta ses lèvres et laissa échapper par intervalles de bruyantes explosions de chagrin. Écartant Rose, dont la figure éplorée confirmait ses propres terreurs, elle l’empêcha formellement de rendre aucun service au mourant et insista à tout faire elle-même.

Cette âme prête à s’éteindre exprima une dernière pensée ; et murmurant, mais si bas et si faiblement que ses paroles