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LE MANOIR DE VILLERAI

Quoique madame Lauzon fût souverainement indifférente quant à la pratique des préceptes de sa religion, elle tenait cependant, avec une inconséquence étrange mais assez commune, à en observer la plupart des devoirs extérieurs.

— Et où sont les enfants, chère ?

— Ils sont chez la voisine, papa. Vous savez, vous les avez embrassés et bénis ce matin, et je viens justement de les laisser là, afin que leur tapage ne vous cause aucune migraine.

— C’est maintenant à peu près inutile ; mais viens et assieds-toi près de moi, ma chère. Je me sens si tranquille et si bien.

La pauvre Rose obéit, sans oser parler, car sa voix l’aurait trahie. M. Lapointe, qui avait administré les derniers sacrements à son père le jour précédent, et le docteur Deschamps, lui avaient tous deux fait entendre, le plus doucement possible, que la fin du pèlerinage terrestre de son père allait bientôt arriver. Le cœur abîmé, elle l’avait veillé depuis lors, et quelques instants auparavant, quand elle avait remarqué cette étrange langueur qui s’emparait de lui, et la sueur froide qui coulait de son front, elle s’était hâtée de conduire les enfants ailleurs, afin que les derniers moments de son père ne fussent pas troublés, et que ces jeunes cœurs ne fussent pas attristés par la scène lugubre qui allait sitôt avoir lieu.

L’un et l’autre parlèrent peu ; Rose par intervalle lisait à haute voix des prières appropriées à la circonstance, ou bien humectait ses pauvres lèvres desséchées, qui semblaient toujours insatiables de soulagement.

Une heure venait de s’écouler paisiblement dans ces soins, quand madame Lauzon, trempée jusqu’aux os et de très mauvaise humeur, entra dans la maison. Un regard irrité autour de la chambre, suivi d’une brusque demande où étaient les enfants, fut son premier bonjour.

Rose répondit à voix basse qu’ils étaient chez le voisin, chez Ovide Blois.

— Et pourquoi chez le voisin ? s’écria-t-elle vivement. Tu sais bien que là, ils seront toujours à courir au dehors et au dedans de la maison, et qu’ainsi ils prendront des rhumes