Page:Leprohon - Le manoir de Villerai, 1925.djvu/102

Cette page a été validée par deux contributeurs.
105
LE MANOIR DE VILLERAI

ces arbres dépouillés, auxquels pendait çà et là une feuille jaunie, triste reste de la beauté de l’été disparu.

Plus triste encore se fit entendre le glas funèbre que l’on sonne à de courts intervalles, le jour de ce triste anniversaire, pour rappeler aux vivants le souvenir de ceux qui sont partis avant eux, et qu’ils doivent peut-être suivre bientôt. Plus d’un cœur fut rempli de chagrin ce jour-là au village de Villerai ; bien des yeux se mouillèrent de larmes en entendant le son solennel du bronze qui s’échappait du clocher de l’église. Des enfants se souvenaient tristement de vieux parents aux cheveux gris qu’ils avaient portés en terre l’année précédente ; un mari pensait à sa jeune femme qui occupait une place dans le paisible cimetière ; le cœur de la mère pleurait le jeune homme idolâtré enlevé à la fleur de l’âge, ou le petit enfant qui, subitement, avait passé de ses bras amoureux dans le lit étroit d’un cercueil.

Faible, mais distinct, l’écho de cet appel à prier pour le repos des morts pénétrait dans l’intérieur de la maison de Joseph Lauzon ; et en l’écoutant, les yeux à moitié fermés, ses mains amaigries jointes ensemble, il ne laissait voir sur sa physionomie aucun air de tristesse. Son esprit était alors activement occupé ; il pensait au paisible tombeau dans lequel dormait, depuis de longues années, sa première femme, la belle et douce mère de l’aimable Rose. Ah ! quel lieu de repos serait cette bière pour son corps fatigué et accablé ; quelle joyeuse rencontre que celle de son âme avec l’âme de son épouse défunte !

Cette pensée lui fit un bien inexprimable, et dans le bonheur qu’il ressentait, il ne s’aperçut pas d’une étrange sensation de torpeur et d’engourdissement qui s’emparait insensiblement de lui. Un léger bruit de pas traversant la chambre attira son attention, et il murmura :

— Rose !

— Oui, cher papa, et elle fut aussitôt près de lui, pressant tendrement ses mains dans les siennes. Sa figure était excessivement pâle, et ses yeux rouges et enflés portaient les traces de larmes récentes.

— Où est ta mère, petite ?

— À l’église, papa ; elle reviendra bientôt.